La représentation diplomatique suisse au Canada est en pleine transition. Dès 2014, il n’y aura plus que deux consulats généraux en plus de l’ambassade d’Ottawa. Vancouver s’occupera des Suisses résidants dans l’Ouest et Montréal gèrera les intérêts des helvètes de la partie Est du Canada. Le Consulat de Toronto disparaîtra. L’hésitation a été longue entre supprimer le consulat de Toronto ou celui de Montréal, finalement l’aspect francophone de la grande ville québécoise a primé sur la place économique de la capitale de l’Ontario.
Beat Kaser, le nouveau Consul général suisse à Montréal, en poste depuis août 2012, nous a reçu dans sa résidence montréalaise. Il nous explique ce choix et les réalités de sa fonction consulaire.
Quel est le rôle d’un Consul général?
La tâche principale d’un Consul général est la défense des intérêts suisses dans sa juridiction. Pour ma part, il s’agit aujourd’hui de la Province de Québec ainsi que celles qu’on appelle les Maritimes. Prochainement, avec la fermeture du Consulat suisse de Toronto, le territoire couvert, tout comme le nombre de résidents suisses va doubler. Aujourd’hui, j’ai la responsabilité d’environ 14 000 suisses, après le redécoupage, j’en aurai 28 000 sous ma juridiction.
La pression budgétaire a forcé un redécoupage et la fermeture d’un consulat au Canada. Le choix a été très serré entre Toronto et Montréal. Finalement la francophonie l’a emporté sur les raisons purement économique. La décision a penché pour Montréal pour très peu de chose. Dès 2014, la Suisse aura une ambassade à Ottawa et deux consulats généraux, un à Montréal et un autre à Vancouver.
Pour l’anecdote, je suis également responsable consulaire pour les Bahamas.
Concrètement, en quoi consiste la défense des intérêts des suisses?
Il s’agit tout d’abord d’échanges politiques. Par exemple, le Jura et le Québec ont un accord de coopération depuis 1979. Des échanges sont constants entre les deux régions. Des jeunes ont la possibilité de faire des stages. Dans le cadre du 400ème anniversaire de la ville de Québec, le Jura a offert à la ville une horloge monumentale. Elle va être installée prochainement.
Mon rôle consiste à entretenir les canaux et les contacts avec les Gouvernements provinciaux. Je dois suivre les questions bilatérales, politiques, médias, sciences, culture, etc. Défendre les intérêts suisses, c’est très souvent expliquer nos réalités, notre fonctionnement.
Au niveau économique, il s’agit de défendre les entreprises helvétiques. Je dois être attentif à ce qu’elles ne subissent pas des discriminations concurrentielles par exemple. Je dois maintenir des contacts en Suisse également pour tenir informé le pays de ce qui se passe au Québec. Les liens avec des organisations économiques les plus diverses occupent une autre partie de mon temps.
La culture occupe aussi une place importante. Les échanges entre artistes, l’établissement d’artistes en résidence, la réponse à leurs demandes spécifiques, l’initiation de nouveaux projets sont les tâches les plus courantes. En résumé, je dois contribuer à la création de réseaux, à favoriser les contacts.
Le Consulat facilite et favorise la vie de nombreuses sociétés suisses. Une vingtaine propose des activités très diverses allant du sport comme le tir, le yass, la lutte suisse à la musique avec un choeur d’hommes, une société de fifres et tambours en passant par des groupes de bénévoles ou encore la compagnie des vignolant du vignoble Neuchâtelois.
La gestion des Suisses au Québec et du Québec est une dernière activité importante. Toutes les questions administratives en lien avec leur pays d’origine des résidents québécois de nationalité suisse passent par le Consulat. Je dois également m’occuper des difficultés que peuvent rencontrer les suisses de passage. Il arrive parfois que des compatriotes se trouvent bloqués à leur arrivée. Des filles au pairs, des étudiants sont parfois refoulés par les autorités d’immigration. Nous les assistons dans ces situations.
Justement, quels sont les principales demandes des suisses auxquelles vous êtes confrontés?
Régulièrement, nous réglons des questions liées aux passeports. Les modifications de l’état civil sont aussi de notre ressort. Une fois par année, nous devons attester que les bénéficiaires de l’AVS sont toujours en vie. Des questions fiscales nous sont parfois posées et nous aidons à leur règlement.
J’ai eu dernièrement à proposer des solutions à un Suisse de plus de 90 ans qui voulait régulariser sa situation fiscale. Il n’avait jamais déclaré sa rente AVS. Nous sommes là pour trouver les solutions les plus opportunes. Nous répondons régulièrement à des demandes de compatriotes qui sont à la recherche d’un avocat ou d’autres professionnels.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris à votre arrivée en poste au Québec?
Les résultats de la commission Charbonneau m’ont étonné. Je ne pensais pas être confronté à un tel niveau de corruption. Une telle présence de la mafia, des règlements de compte, je ne voyais pas Montréal sous cet angle. J’avais une autre image du Canada. Démocratie, transparence, tolérance symbolisaient ma vision du pays.
La question linguistique est une autre surprise. La véhémence de la défense du français m’a étonné. Venant d’une Suisse multiculturelle, ayant grandi au sein d’une minorité culturelle, je n’avais pas senti ce même besoin. Cette détermination à défendre la langue se comprend dans le contexte géographique et historique du Québec.
Le rôle que joue la Province sur la scène fédérale et sa situation particulière est également source d’étonnement. J’ai dû apprendre que le Québec est une nation. Elle possède une Assemblée Nationale. Le drapeau québécois est un symbole important. Il est très présent, beaucoup plus que celui du Canada. Je pensais venir au Canada, je me suis retrouvé au Québec.
Le paysage politique apparait comme brouillé. La division des partis ne correspond pas au découpage traditionnel. Le Parti Québécois est bien plutôt à gauche et le Parti Libéral plutôt au centre droit, mais la différence essentielle se fait entre indépendantistes et fédéralistes. Comme en Suisse, il y a trois niveaux politiques, mais les partis qui y militent n’ont presque pas de liens entre eux. Les partis ne sont pas les mêmes au niveau municipal, provincial ou fédéral. Il n’y a pas de partis communs.
Comment jugez-vous la situation des Suisses au Québec?
Leur santé est bonne, voire très bonne. La communauté est très active, très présente. Des compatriotes font des carrières remarquables dans la région. Au niveau économique, politique, culturel ou encore sportif, des Suisses réussissent.
Il y a, par exemple, un Suisse d’origine au Conseil municipal de Montréal. D’autres entrepreneurs, artistes ou hockeyeurs sont connus voire renommés comme le cinéaste Hugo Latulippe et sa conjointe Laure Waridel qui est Suisse.
Sur le plan universitaire et académique, il y a aussi des helvètes qui s’illustrent. Souvent on ne sait pas qu’ils sont suisses tellement leur intégration est réussie. Nous avons beaucoup de porte-drapeaux. Je trouve passionnant d’aller à leur rencontre, à la découverte de parcours extraordinaires.
Aidez-vous les québécois à s’installer en Suisse?
Non, j’ai peu de contact direct avec les québécois qui vivent en Suisse. Je sais qu’il y en a beaucoup. Des joueurs de hockey aux infirmières ou hygiénistes dentaires, les québécois sont biens présents dans la société helvétiques. Ils nous posent parfois quelques questions lorsqu’ils sont de passage au pays, mais les contacts sont plutôt rares.
Quels sont les principales entraves, les principaux désagréments auxquels les Suisses doivent faire face au Québec?
Nous avons tout d’abord beaucoup de choses en commun. Nos valeurs fondamentales sont les mêmes. Culturellement nous sommes très proches. Les liens entre la Suisse et le Québec sont forts, durables et importants.
Toutefois, les procédures administratives canadiennes et québécoises sont assez longues. Elles peuvent apparaître parfois comme fastidieuses et compliquées. J’ai entendu quelques histoires d’agriculteurs ou de commerçants qui se sont faits gruger, mais les cas sont occasionnels. En général ces contacts se passent bien et la collaboration est bonne.
L’équivalence et la reconnaissance des diplômes est un de mes soucis. Le Consulat travaille sur ces dossiers. Nous souhaiterions déboucher, au moins pour les diplômes de langue française, sur une équivalence de traitement avec la France. Pour nos étudiants aussi, nous voulons ce type d’équivalence. Ils ne bénéficient pas aujourd’hui des mêmes frais de scolarité que des étudiants français. C’est un dossier que nous voulons porter à l’attention du Gouvernement du Québec.
La Suisse est trop peu connue. Elle n’est pas encore assez reconnue comme un pays francophone. Malgré l’organisation du sommet de la francophonie en 2012, elle a du chemin à faire. Sa participation au sommet de Kinshasa en 2012 s’est faite avec un Vice-Président alémanique. n’était pas très représentative.
Qui sont les Suisses qui vivent au Québec?
Ils sont 14 000, principalement des agriculteurs. Leur présence est très forte dans les cantons de l’Est (Estrie, au sud de Montréal). Mais il y a aussi des professeurs d’université, des chercheurs, des journalistes, des commerçants, des agents de voyages, des gens de théâtre, la palette est vaste.
Leur âge moyen est assez élevé. En tout cas chez ceux qui participent le plus aux activités en lien avec le Consulat. Leurs enfants sont très bien intégrés et ne revendiquent par forcément leur identité helvétique.
Il y a aussi de plus en plus de jeunes qui viennent « par amour » ou par choix professionnel. Ils sont plus difficile à repérer car ils ne sont pas forcément dans les réseaux traditionnels. Je travaille actuellement sur une actualisation de nos méthodes de travail et de nos systèmes de contacts. Dans les clubs suisses, les participants sont vieillissants, les plus jeunes sont ailleurs. Il s’agit de poursuivre la vie des clubs traditionnels tout en allant vers les plus jeunes en utilisant leurs canaux.
Le réseaux sociaux sont une plate-forme intéressante. Le Consulat intensifie sa présence. Nous essayons de montrer ce qu’est la Suisse d’aujourd’hui. Un page facebook (www.facebook/consulatsuissemontreal) illustre cette nouvelle communication. Le site http://www.swisscommunity.org permet également cette mise en réseau et ces échanges entre suisses vivants loin de leur terre d’origine.