« Il y a vingt mille vers de Corneille que bientôt on ne pourra plus signer Molière. Les poètes comprendront sans peine que l’auteur de Sganarelle n’ait pas écrit sitôt après, à quarante ans, L’École des Femmes. On n’apprend à l’âge d’Arnolphe ni le violon, ni la danse de ballet, ni la virtuosité suprême du vers et du style cornéliens. Je sais bien que tout est simple pour la crédulité des moliéristes, même ce que Molière leur raconte sur les naissances miraculeuses des Fâcheux et de Psyché. Mais les élèves de Paul Lacroix [célèbre moliériste] entendent peu de chose à l’Histoire et moins encore à la dramaturgie. Et rien à l’âme de Corneille », voilà ce qu’écrivait Pierre Louÿs en 1919.
« La polémique ne date pas d’hier. Déjà de son vivant, certains « critique » avaient mis en doute la paternité des œuvres de Molière. Récemment, une étude informatique très sérieuse a accrédité la thèse que Pierre Louÿs avait soutenue en son temps : derrière l’auteur du Misanthrope se cacherait le fantôme de Corneille. » (4ede couverture)
Philippe Vidal, écrivain, metteur en scène et scénariste, fou d’histoire s’attache à démontrer les différences entre la légende et la réalité de la vie de Jean-Baptiste Poquelin. Enquête minutieuse avec des témoignages de l’époque et des analyses plus récente, ce livre déboulonne quelques mythes sans pour autant verser dans un « anti-moliérisme » primaire.
Sa vie quasi légendaire est passée au crible des documents de l’époque. Non, Molière n’a pas vécu dans la pauvreté, non, il n’a pas été rejeté par son père. Quand il entre dans l’Illustre Théâtre qui connaîtra des débuts difficiles, il en devient rapidement le directeur, non pas par son talent d’acteur ou d’écrivain, mais parce qu’il en est le financier principal grâce à l’argent de son père qui n’hésitera jamais à le soutenir.
Excellent directeur de compagnie théâtrale, il a le sens du marketing comme on dirait aujourd’hui. Il sait faire progresser sa troupe et gagner en notoriété jusqu’à devenir le protégé de Louis XIV. Ce talent est indéniable.
Par contre, comme auteur, c’est plus discutable. Jean-Baptiste Poquelin, il le dit lui-même ne travaille pas vite, pourtant certaines pièces sont écrites en quelques jours ! C’est que derrière ce travail acharné et talentueux se cache un autre génie : Pierre Corneille.
Les deux hommes se sont rencontrés à Rouen pour la première fois en 1643, mais, malgré les vœux de celui qui a pris le nom de Molière sans qu’on ne sache d’où vient ce pseudonyme, la collaboration tarde et ne viendra qu’une dizaine d’années plus tard. Corneille poète reconnu et adulé depuis la parution du Cid en 1637.
Ce n’est que 15 ans plus tard, en 1658 que les deux hommes se retrouvent à Rouen. Un a besoin d’argent, l’autre en a. L’un est un tragédien reconnu qui ne peut sortir de son style sans engendrer le scandale et l’autre a besoin de textes rapidement pour satisfaire des commandes que sa troupe doit jouer. Tout est en place pour une collaboration fructueuse.
Le 1erseptembre 1662, Claude Le Petit, écrivain et poète est brûlé Place de Grève à Paris pour avoir écrit en autres Le Bordel des Muses. On ne rigole pas avec les blasphémateurs et ceux qui s’amusent des puissants. C’est un avertissement pour Pierre Corneille qui n’osera jamais s’affirmer dans la comédie.
Pourtant le génie créateur de Corneille est aussi valable pour la comédie. Il se rapproche de Molière en venant habiter à Paris. Dès lors, leur collaboration sera aussi secrète que fructueuse. Molière peut se consacrer à ce qu’il aime, faire rire et faire prospérer sa compagnie théâtrale.
Le Bouffon du roi est un administrateur hors pair. Ce qui lui importe c’est d’être reconnu comme un grand acteur. Il écrit bien un peu, surtout des scènes de bastonnades et autres bouffonneries qui plaisent au public. C’est pourquoi tant de pièces semblent inégales entre la perfection littéraire de Corneille et l’exubérance maladroite de Molière.
Après 15 ans de collaboration, le 17 février 1673 après la 4eet dernière représentation du Malade imaginaire, Molière quitte définitivement la scène. Il ne laisse aucun manuscrit, chose unique pour un écrivain. Corneille vivra encore 10 ans, mais sa dernière pièce publiée, Surena, date de 1674.
Tout porte à croire que la rencontre entre un personnage hors du commun et attachant et un grand dramaturge en quête de liberté fut des plus fructueuses pour la littérature.