Brave centenaire
On hisse la travée centrale du pont de Québec quelques instants avant qu’elle ne s’effondre en 1916.
Le pont de Québec a fêté ses 100 ans le 20 septembre dernier. Un pont centenaire, c’est bien ordinaire me direz-vous. En Suisse, il en existe depuis plus de mille ans. Alors, pourquoi s’énerver pour un banal pont qui a vu juste un petit siècle ?
Justement, parce que ce n’est pas un pont banal. C’est le dernier pont qui traverse le Saint-Laurent avant que celui-ci ne se jette dans l’océan Atlantique. Il a été construit à un endroit stratégique: là où le fleuve rétrécit, la définition du mot Québec en langue algonquine (amérindienne pour les non initiés).
Le premier pont impressionnant que j’ai vu à mon arrivée à Québec est son voisin, le pont Pierre-Laporte. Un magnifique pont suspendu avec ses arches qui chatouillent le ciel. Mais ce petit jeune qui date de 1970 ne fait que rehausser la majesté de son ancêtre. Enfin, la majesté un peu défraîchie quand même puisqu’aujourd’hui, le pont de Québec ressemble à un amas de rouille.
Depuis mon arrivée, je ne compte plus les plans et les études pour le repeindre. Mais on est au Québec, rien n’est simple. Déjà pour savoir qui doit le faire, c’est toute une histoire ! Est-ce le Canadien National (CN), la compagnie de chemin de fer qui est propriétaire du pont ? Est-ce le gouvernement fédéral qui l’a cédé en douce au CN il y a quelques années et qui pourrait bien le reprendre pour un dollar symbolique ? Est-ce les autres paliers de gouvernements ?
Un moment, j’ai cru que ça allait être les deux maires de Québec et Lévis de chaque côté du pont qui allaient s’y mettre. Le problème, c’est que la facture est quand même estimée à 400 millions de dollars. À ce prix là, on peut construire une patinoire pour une hypothétique équipe qui ne reviendra peut-être pas, mais c’est plus difficile de trouver des payeurs pour un monument historique.
Il faut dire que ce vénérable a causé du trouble (ou de la misère si vous préférez) avant même sa naissance. Le 29 août 1907, il s’effondre une première fois durant la construction à cause d’un ingénieur (Théodore Cooper) américain trop sûr de lui. Il voulait battre le record du monde de portée sans refaire les calculs. Il a pris ceux de sa dernière construction. Résultats: 76 morts.
On n’abandonne pas et on recommence. Le 11 septembre 1916, les deux avancées, nord et sud, sont prêtes, il ne reste plus qu’à hisser la travée centrale construire un peu plus loin au bord du fleuve. Des centaines de personnes viennent assister au treuillage de cette travée qui monte du fleuve. Arrivé presqu’en place, une erreur de manipulation et c’est le déséquilibre… la travée retombe à l’eau. Résultats: 13 morts.
On remet l’ouvrage sur le métier. On laisse la vieille travée au fond du fleuve et, cette fois, le pont est enfin terminé. Un premier train peut le traverser le 17 octobre 1917. Une légende raconte qu’avant, un curé envoie son chat, car il avait fait un pacte avec le diable et devait lui offrir la première âme qui le traverserait contre l’achèvement des travaux sans accident.
Les légendes du pont du diable se retrouvent partout. Gothard, Savièse, Québec… même combat, sauf qu’ici, on n’a pas osé aller jusqu’au bout et l’appeler pont du Diable… pour aller de Saint-Nicolas à Sainte-Foy ça aurait eu de l’allure !
Le pont de Québec vu de l’est.