Valais Libre

26 mars 2021

Quand le système choisit le type de démocratie.

Dans deux jours, les élections cantonales auront livré leur verdict définitif. La question de la représentativité du gouvernement a pris une acuité particulière cette année, tout particulièrement au deuxième tour des élections au Conseil d’État. Est-ce légitime qu’un parti qui représente 35 % de la population accapare les 2/3 des sièges du gouvernement ? Cette question ne se poserait pas au Québec où le système démocratique « anglais » règne.

Le parlement fédéral a Ottawa est un des hauts-lieux du système démocratique à l’anglaise. Source : Pierrot Métrailler

3-1-1 ou 2-1-1-1 ? Les formules ont pris le dessus dans les débats du deuxième tour. D’un côté, on a vanté les qualités exceptionnelles d’un candidat. Le canton ne pourrait se passer d’un tel talent. De l’autre, on a mis en avant la nécessaire représentativité d’un gouvernement. Il serait scandaleux de ne pas donner une voix aux principaux partis.

Je pourrais répondre aux premiers que le Valais s’est privé de nombreux hommes (moins de femmes) indispensables au fil des élections. Que serait devenu notre canton, si tous ceux dont les qualités ont été vantées avaient pu faire profiter notre région de leur compétence ? On ne le saura jamais.

Aux autres, je dirais que le système majoritaire est fait pour renforcer la cohésion et la cohérence gouvernementale même si l’usage a voulu que le peuple élise ses représentants en respectant un semblant de proportionnalité. La logique aurait voulu que durant le siècle où les conservateurs possédaient la majorité absolue, ils monopolisent les places. Au fond, ce sont eux qui ont détourné le système.

C’est bien plus simple au Canada !

35 PLR – 62 PDC – 31 Noirs – 2 Jaunes : voilà ce qu’aurait été la répartition des sièges au Grand conseil si on appliquait le système en vigueur au Canada aux résultats du 7 mars dernier… ou presque. Parce qu’il a fallu que j’extrapole et que je groupe tous les élus d’un même district sous la bannière du parti qui a reçu le plus de suffrages.

Car dans le système uninominal à un tour en vigueur au Canada qui a repris le système britannique, les élections ont une saveur particulière. On élit un député par circonscription et le décompte est facile : celui qui a le plus de voix est élu. Un style démocratique facile à comprendre. Nul besoin de calculs compliqués, de proportionnelle à différents niveaux, de longs dépouillements. Un cercle électoral, un bulletin de vote, une croix face au candidat de son choix et est élu celui qui a le plus de croix.

Une représentativité très relative

Les petits partis n’ont aucune chance à moins d’être concentrés fortement dans une seule région. Ce système que j’appelle « anglais » pour plus de commodité a été créé dans un temps où deux partis s’affrontaient pour la conquête du pouvoir. Dans cette situation, il a une certaine logique. En découpant des cercles électoraux qui regroupent une population relativement égale, on arrive à une représentativité équilibrée.

Mais dans la deuxième étape, celle où l’on élit le gouvernement, ce système « anglais » est beaucoup plus catégorique : le premier ministre est le chef du parti qui a le plus de sièges au parlement. Il va ensuite choisir ses ministres parmi les membres de son groupe de députés. Car oui, dans le système britannique, les ministres sont aussi députés et le restent après leur nomination au gouvernement.

Justin Trudeau a pu former un gouvernement avec les ministres de son choix uniquement de son parti avec seulement 33 % des voix. Source : Radio-Canada – Photo : La Presse Canadienne / Justin Tang

Autres mœurs démocratiques

Je vous parlerai une autre fois de ma surprise sur cette conception « bizarre » de la séparation des pouvoirs. Pour aujourd’hui, je vais m’en tenir à la représentativité. Donc le groupe politique qui a le plus de députés gouverne. De manière majoritaire s’il a une majorité absolue au parlement ou minoritaire si sa majorité n’est que simple au législatif.

C’est pourquoi il arrive que l’on connaisse des élections anticipées. C’est ce qui risque d’arriver au Canada où le premier ministre semble vouloir profiter de sa popularité actuelle pour se faire réélire majoritairement. Car, le système lui permet, avec moins de 40 % des voix d’accaparer tous les pouvoirs.

Cette tradition démocratique « anglaise » est parfaitement légitime pour les citoyens canadiens. J’ai un peu de mal à m’y faire. Je sais que mon vote ne vaudra rien aux prochaines élections fédérales. Dans ma circonscription un élu conservateur est un député « indéracinable ». Il fait partie de ce qu’on appelle les châteaux forts qui ne risquent pas de tomber tant que ce député ne décide pas de prendre sa retraite.

Une vraie démocratie

C’est en vivant dans ce type de démocratie qu’on prend pleinement conscience des avantages et des avancées du système helvétique. Loin de moi l’idée de dénigrer la démocratie de mon deuxième pays. C’est incontestablement une démocratie avancée, mais qui ne repose pas sur une représentativité aussi fine qu’en Suisse.

Bien sûr que mon calcul selon les résultats valaisans du 7 mars n’est que fictif, car le fonctionnement démocratique s’adapte au système. Si le Valais vivait sous une démocratie « à l’anglaise », les partis politiques se seraient adaptés et on aurait un autre rapport de force.

La Suisse a choisi un système proportionnel avec l’incorporation des principales forces politiques dans les différents pouvoirs. Le système fonctionne parfaitement pour les élections législatives, mais devrait être amélioré en ce qui concerne l’exécutif. Il fonctionne grâce à un collège gouvernemental. Ce collège doit être équilibré et représentatif pour donner sa pleine mesure.

Une première amélioration simple serait de proposer aux électeurs une seule liste avec le nom de tous les candidats et la possibilité de cocher un à cinq noms de son choix. Il y aurait toujours la possibilité d’élire des candidats d’un seul parti, mais l’effet « liste » serait moins marqué. À la Constituante de jouer, elle trouvera peut-être une solution encore meilleure.

19 mars 2021

Quand Meghan et Harry crachent, le Québec tousse.

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 7 h 40 min
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Si l’entrevue que Meghan et Harry, les deux enfants terribles de la couronne britannique, ont donnée dernièrement à Oprah Winfrey a suscité un intérêt poli en Suisse, il en va tout autrement au Québec. Nous sommes des sujets de Sa Majesté ! À ce titre, rien de ce qui se passe à la cour d’Angleterre ne nous est vraiment étranger. Tout peut avoir des conséquences fâcheuses et inattendues pour la province.

L’interview très attendue du Duc et de la Duchesse du Sussex avec Oprah Winfrey a été diffusée aux États-Unis le dimanche 7 mars dernier. Source : http://www.bbc.com – Harpo Productions – Joe Pugliese

Ainsi ce réveil d’intérêt pour ce qui se passe du côté de la reine d’Angleterre a permis de mettre en lumière une incongruité législative. Le gouvernement a rapidement pris la mesure de la gravité de la situation et proposé une nouvelle loi pour éviter une potentielle dissolution de l’Assemblée nationale et la chute du gouvernement en place !

Pas d’État sans chef d’État

En effet, si la reine mourait avant l’adoption de ce projet de loi, le gouvernement, l’Assemblée nationale et les tribunaux ne pourraient plus fonctionner et tous les titulaires de charges publiques, députés, ministres et hauts fonctionnaires seraient révoqués. En bref, l’exécutif, le législatif et le judiciaire seraient hors d’usage!

Pas d’État sans chef d’État, c’est en résumé ce que dit une grande partie du cercle juridique, même si tout le monde n’est pas d’accord. L’État fédéral et les autres provinces ont déjà pallié ce fait en votant une loi protégeant ce vide juridique. Le Québec, la province la moins favorable à la monarchie, se réveille bien tardivement.

Heureusement, la reine Elizabeth II est en forme malgré ses 94 ans et ce n’est pas l’entrevue de ses petits-enfants qui va lui causer trop de maux d’estomacs. Pourtant, et ce n’est pas coutume, la reine a réagi rapidement par communiqué pour réitérer son amour envers Harry et Meghan.

Pauvres petits-enfants !

Car les pauvres petits tourtereaux qui ont quand même reçu 7 millions de dollars pour les deux heures de télévision passées en compagnie de la plus célèbre intervieweuse du monde sont bien à plaindre. Harcelés par les paparazzis, dénigrés par le personnel royal et rejetés au loin dans l’ordre de succession, ils ont fui leur prison dorée.

Après un bref passage par le Canada, ils ont émigré au sud de la Californie pour mieux remplir leurs devoirs télévisuels. Car, pour faire face à « la coupure des vivres » qu’ils ont subi après leur départ de la Cour, ils ont signé d’importants contrats avec Netflix et Spotify pour une série d’émissions et de podcasts.

Je veux bien croire que la vie sous les projecteurs peut être difficile, que tout n’est pas toujours rose, que les contes de fées cachent bien des désillusions, mais en cette période difficile pour tellement de monde, il ne faut pas exagérer. Prince et princesse, au 21e siècle est un statut un peu anachronique, mais à trop en abuser, on risque de lasser ses sujets.

Sujet de Sa Majesté

Car, j’ai un point commun avec James Bond… non, je ne suis pas agent secret, journaliste et secret ne font pas bon ménage, non, je suis un sujet de Sa Majesté. Au moment de l’acquisition de ma deuxième nationalité, je suis Suisse et Canadien, j’ai dû prononcer le serment d’allégeance : « Je, Pierrot Métrailler, jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs. »

De passage au Musée de cire de Montréal, je n’ai pu m’empêcher d’habiller « ma » reine aux couleurs du Québec ! Source : Pierrot Métrailler

Je vous l’accorde, ça en jette ! Mais peut-être risquerai-je d’être pendu, la décapitation étant réservée aux nobles, pour oser critiquer des membres de la famille royale après avoir prêté serment ? Je vais donc arrêter-là avec les princes fuyants. Mais, vous l’avez compris, le Canada fait partie des possessions de la couronne d’Angleterre. Ceci depuis 1763 à la fin de la Guerre de 7 ans.

Une histoire royale mouvementée

Abandonnés par Louis XV, les Français d’Amérique se sont retrouvés sous la gouverne des rois d’Angleterre. Si George II est mort un mois après la chute de Montréal en 1760, c’est son petit-fils George III qui a signé le traité de Paris en 1763 qui a fait de la vallée du Saint-Laurent une terre de l’Empire britannique. Trois autres George, deux Edward, un Guillaume et bien sûr la reine Victoria ont précédé dans le désordre Elizabeth II.

La visite de la jeune reine, en octobre 1964, a marqué l’histoire du Québec. Elle a laissé la mémoire du trop fameux « samedi de la matraque » alors que les policiers de la ville se sont donnés à cœur joie sur les premiers indépendantistes qui osaient crier : « Le Québec aux Québécois ! » Tout a été fait pour que la reine n’ait plus envie de revenir dans la Capitale nationale du Québec.

Vers la fin de la monarchie

Les jérémiades du couple en exil auront peut-être de belles conséquences. En plus d’avoir rappelé à l’ordre le législateur québécois et ainsi lui éviter un vide fâcheux au moment du décès de la reine, elles ont également rouvert le débat sur la place de la monarchie. Si un avocat que je connais bien, Me Guy Bertrand avec qui je travaille à la rédaction de sa biographie, avait demandé, dans les années 80, la destitution de la reine au Québec, il se pourrait que cette fois ça se fasse.

La question n’est pas juridiquement claire, car le Canada n’envisage pas de changer de système politique. Il veut rester une monarchie parlementaire. Toutefois, le Québec pourrait supprimer toute référence à la monarchie et remplacer les tâches du lieutenant-gouverneur, le représentant de la reine au Québec, par d’autres instances. Malheureusement, il n’est pas encore prêt à faire du peuple le souverain.

12 mars 2021

Lait canadien et huile de palme

La Suisse n’a pas été la seule à débattre intensément de l’huile de palme. Au Canada aussi le produit phare de l’Indonésie s’est invité dans l’actualité de cette fin d’hiver. Des changements dans la consistance du beurre et une mousse sur le café moins ferme ont alerté les consommateurs canadiens que leur lait n’était peut-être pas aussi naturel qu’on voulait bien leur faire croire. Quand on subventionne lourdement une filière de production, on est en droit d’attendre une qualité supérieure.

La majorité des vaches préfèrent le pâturage, et pas uniquement à la belle saison. Il a fallu une étude universitaire québécoise pour en arriver à cette conclusion ! Et pourtant voir des vaches à l’extérieur est rare au Canada. Crédit photo : Archives/TCN

« Quand on fait du fromage, ça ne coagule pas comme on veut. Il y a même des baristas qui ne veulent plus de lait commercial parce qu’il ne mousse plus. L’eau bout. Ça fait un café bouilli », dénonce Max Dubois, propriétaire de L’Échoppe des fromages de Saint-Lambert, sur la Rive-Sud de Montréal1.

Des vaches nourries à l’huile de palme

En même temps que cette polémique sur la qualité de la production laitière locale, j’étais surpris par une publicité d’un géant de la restauration rapide qui vantait que, dorénavant, ses hamburgers seraient préparés au Québec avec, prioritairement, du bœuf nourri à l’herbe. Je pensais naïvement que pour un herbivore ça devait être la norme. Je me trompais lourdement.

« Les vaches qui se nourrissent d’herbe n’ont pas besoin de supplément d’huile de palme pour produire leurs matières grasses, mais quand ta vache mange des grains comme un cochon, à ce moment-là, tu as besoin de l’huile de palme parce qu’il faut du gras. Ça devient un produit miracle », résume Yan Turmine, le directeur de Bélisle Solution Nutrition, qui aide les producteurs à développer des solutions de nutrition pour leurs animaux[1].

L’huile de palme donnée aux vaches sous forme de granule que l’on ajoute dans le fourrage provient d’Indonésie, où elle est fabriquée. « On l’importe ensuite ici par conteneurs », souligne l’agronome1. Il insiste au passage pour dire que ce produit est autorisé par l’Agence canadienne d’inspection des aliments. En Europe, ces compléments à base d’huile de palme sont, par contre, interdits.

Un marché hyper contrôlé

« Les producteurs québécois et canadiens maîtrisent leur niveau de production pour satisfaire tous les besoins du marché intérieur. Les représentants des producteurs de toutes les provinces, en consultation avec l’industrie, établissent une cible annuelle de production que l’on appelle le quota de mise en marché. »

Cette citation tirée du site Internet des Producteurs de lait du Québec explique en quelques mots le fonctionnement du marché laitier au Canada. Il est régi par ce qu’on appelle la « gestion de l’offre ». Ce système a été introduit au pays en 1972 afin de protéger certains milieux agricoles canadiens contre les industries étrangères. La production de lait, d’œufs et de volaille est ainsi contrôlée strictement.

Le système permet non seulement de stabiliser les prix à travers le Canada, mais aussi de limiter les importations. Si cette manière de faire a le mérite de garantir un plancher de revenus pour les producteurs agricoles, les consommateurs n’en sortent pas gagnants. Ce sont eux qui paient les surcoûts. Par exemple, je paie mon fromage aussi cher qu’en Suisse alors que la viande coûte environ la moitié du prix de Suisse.

Qui n’amène aucune garantie de qualité

Ce système hyper contrôlé n’offre aucune garantie aux consommateurs. Lorsque Donald Trump a remis en question l’accord de libre-échange entre les USA, le Mexique et le Canada (ALÉNA) et qu’il a fallu le renégocier, le Québec s’est fortement mobilisé pour sauver le système de gestion de l’offre. La puissance de lobby laitier s’est rapidement déployée et la population a suivi, car on avait le « meilleur lait du monde ! »

Il faut dire que les Producteurs de lait du Québec ont une excellente agence de publicité. Allez voir sur Internet, leurs annonces sont savoureuses. Elles mettent en avant la convivialité et la proximité des producteurs. Il y a près de 5 000 exploitations laitières au Québec qui produisent plus de 3 milliards de litres par année.

La taille moyenne des fermes au Québec avec 73 vaches est plus petite qu’aux États-Unis (223 vaches en moyenne). Les producteurs québécois s’en sortent bien puisque le système de gestion de l’offre leur garantit un prix au litre de 50 % plus élevé qu’aux États-Unis. Malheureusement, le consommateur qui paie cette différence n’a pas de garantie de qualité. La question de l’huile de palme vient de le démontrer.

Les Holstein (la grande majorité des vaches sont de cette race) vivent à l’étable à plein temps. Source photo : Radio-Canada

Un frein aux innovations et aux échanges

De plus, cette production est aux mains des organisations professionnelles qui, par leurs pouvoirs et leur influence, ont la mainmise sur le ministère de l’Agriculture qui règlemente fortement les manières de produire. Surtout, ce sont elles qui ont le monopole de l’écoulement de la production. Elles dictent la loi et tiennent la bride des producteurs.

Ceux qui voudraient sortir des sentiers battus, produire différemment, apporter de la nouveauté dans les produits (les fromages en particulier) sont vite remis dans le « droit chemin ». Si le consommateur paie le produit, il ne doit pas s’attendre à ce qu’on lui offre trop de diversité. Pour m’offrir une raclette, je dois prendre dans ma valise (ou une valise amie) un fromage du Valais, car si je veux en acheter un sur le marché local il va me coûter près de 200.- la meule si j’en trouve, parce que la Suisse est limitée dans ses exportations.

On le voit bien, un marché contrôlé par l’État et une Corporation n’est pas une garantie de qualité ni pour le consommateur ni pour le producteur qui doit vivre dans un moule prédéfini et difficilement malléable.


[1] Citation issue du Journal de Québec du 15 février 2021

5 mars 2021

Le politiquement correct triomphe dans les universités nord-américaines

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 8 h 05 min
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Depuis quelque temps, les controverses se multiplient au Québec où, petit à petit, la philosophie à la mode dans les universités américaines déteint sur les campus de la province. Cancel culture, intersectionnalité, appropriation culturelle ou encore culture woke sont plus qu’une mode. C’est le droit de ne pas être d’accord qui est remis en question.

La « cancel culture » veut effacer la présence de certains personnages de la place publique. Source: chiefexecutive.net

« C’est le constat que je fais de plus en plus : le scandale ne vient pas après un événement : il est créé à partir d’un non-événement.  Mon impression, c’est qu’on vit une sorte de Mai 68 individualiste plutôt que collectif. Ce n’est plus la révolution pour tous, mais la révolution pour soi, très égocentrée, pour la reconnaissance en tant que personne noire, ou non binaire, ou handicapée. »

William, 38 ans, étudiant en sciences sociales à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), cité par Le Devoir[1] n’en revient pas. De retour aux études presque vingt ans après les avoir interrompues, il est abasourdi par la culture qui y règne. Des situations controversées, des débats houleux remplissent régulièrement les pages des journaux québécois.

Un peu de vocabulaire

Pour éclairer le débat, je vous propose un peu de vocabulaire. Je tire les définitions ci-dessous d’un article du Courrier international[2].

Le concept de cancel culture – que l’on pourrait traduire par culture de l’effacement, de l’annulation, du boycott, voire de l’humiliation publique – est d’apparition récente dans le débat américain. Utilisé comme un mot dièse militant sur Twitter, le verbe cancel (littéralement “effacer”, “supprimer”, “gommer”) a peu à peu pris un sens négatif. Il désigne désormais pour ses détracteurs une pratique qui consiste à annihiler ou faire taire les voix non consensuelles.

Signifiant “éveillé”, ou “conscientisé”, le terme woke était à l’origine un mot d’argot utilisé dans la culture africaine-américaine des années 1960. Mais sa généralisation est récente. Le mot est alors devenu une expression à la mode, qui désigne aussi un ensemble de valeurs tournant autour de la lutte contre les injustices faites aux minorités.

Utilisée pour décrire le pillage de formes, de thèmes ou de pratiques propres à un groupe culturel dans le domaine de l’art et de la création par un autre groupe, la notion d’appropriation culturelle est sous-jacente à de nombreux débats sur la “cancel culture”. Ceux qui la revendiquent pour critiquer des œuvres, des comportements ou des propos jugés problématiques la considèrent comme un moyen de lutter contre le regard “exotisant” d’une culture sur une autre et de dénoncer la domination qui sous-tend ce regard. Pour ses détracteurs, la notion d’appropriation culturelle est au contraire devenue un obstacle à la circulation des représentations et aux emprunts censés pouvoir nourrir la création.

Apparu pour la première fois en 1989 sous la plume de la juriste américaine Kimberlé Crenshaw, le concept d’intersectionnalité désigne le croisement de plusieurs formes de discrimination subies par une seule personne. Revendiqué par de nombreux acteurs du combat contre le sexisme et le racisme, il est accusé par d’autres de s’opposer à une hiérarchisation des luttes qu’ils estiment nécessaires. D’autres critiques reprochent au terme d’empêcher toute pensée universaliste en dehors d’identités assignées. 

Comme un nouveau « maccarthysme »

Et je vous passe les notions de safe spaces, espaces sûrs et trigger warnings, avertissements qui sont aussi très présentes dans les universités américaines où des espaces réservés aux minorités et des avertissements en début de cours pour « protéger » les sensibilités diverses sont monnaies courantes.

Tant et si bien que certains n’hésitent pas à parler d’un retour du maccarthysme[3] en référence à la « chasse aux communistes » menée dans les années cinquante par le sénateur Joseph McCarthy. 

« On retrouve les mêmes relents nauséabonds dans la cancel culture, équivalent moderne des campagnes de McCarthy. Les nombreux “annulateurs” de ce pays dégagent non pas une odeur de sainteté, mais un fumet de pharisaïsme, et plus inquiétant encore, les relents d’une société en décomposition », pouvait-on lire dans le Wall Street Journal du 5 septembre dernier.

« Les “éveillés” indignés, qui se voient en redresseurs de torts posant les fondations d’un monde plus juste et plus humain, feraient bien de prendre un temps de réflexion, un peu de recul, et se demander s’ils ne sont pas […] unis dans le culte d’une secte bien-pensante, moralisatrice et privilégiée », ajoute encore le chroniqueur conservateur.

Le sénateur Joseph McCarthy menant sa chasse aux sorcières anticommuniste. Source : peoplesword.org

Une culture qui s’étend

Cette vision que certains n’hésitent pas à appeler « marxisme culturel » n’est plus seulement l’apanage des facultés de sociologie américaines, mais il s’étend maintenant au nord, au Canada et petit à petit en Europe. Certains en viennent à se poser la question si on a encore le droit de ne pas être d’accord dans les milieux universitaires.

Des professeurs blâmés pour avoir osé aborder des thèmes délicats, des artistes accusés de piller une autre culture, des écrivains à qui on reproche des prises de position hors de la culture dominante et surtout, les hommes blancs accusés de tous les maux, cette nouvelle dictature prend une place de plus en plus grande. En plus d’imposer une vision unidimensionnelle, elle brime la liberté d’expression qui n’est plus, pour certains, qu’une liberté de se conformer à des valeurs qu’ils jugent incontournables.


[1] Stéphane Baillargeon, Regards croisés d’étudiants québécois sur la culture « woke », Le Devoir, Montréal, 13 février 2021.

[2] Liberté d’expression. Les mots de la « cancel culture », Courrier international, Paris, 2 septembre 2020.

[3] Opinion.“Cancel culture” : au secours, les maccarthystes reviennent ! The Wall Street Journal, New York, traduit par Courrier international, 5 septembre 2020

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