Au moment où j’écris ces lignes, le transport ferroviaire est toujours perturbé au Canada. De petits groupes autochtones, appuyés par des sympathisants blancs, bloquent les voies à différents endroits du pays. Un gazoduc, accepté par le gouvernement fédéral, qui doit traverser des terres ancestrales a mis le feu aux poudres et réveillé de vieux démons. L’heure de la grande réconciliation n’a pas encore sonné.
Je suis sûr que vous n’avez jamais entendu parler ni de la Première Nation Wet’suwet’en ni du projet de gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique. Beaucoup de Canadiens n’en savaient rien non plus avant le début du mois de février. Mais aujourd’hui, cette question occupe une large place dans le paysage médiatique canadien et même au-delà puisque des médias valaisans ont relayé cette crise.
Un gazoduc victime de grandes promesses
Quand le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau a donné le feu vert à ce projet, il ne pensait pas ouvrir une telle boîte de Pandore et perdre totalement la maîtrise de la situation. Justin Trudeau avait promis une grande réconciliation avec les peuples autochtones, aujourd’hui il est victime des attentes qu’il a engendrées.
Et le gouvernement est loin d’être la seule victime. Une grande partie de la population canadienne est l’otage de ce différend. Beaucoup de marchandises voyagent en train à travers le Canada et des circuits d’approvisionnement sont aujourd’hui compromis, sans parler du millier d’employés des chemins de fer qui ont été mis à pied.
Les chefs héréditaires de la Première Nation Wet’suwet’en sont opposés au projet alors que les Conseils de bandes, eux, ont accepté ce gazoduc. Tout ça vous paraît bien compliqué, rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls. Il faut dire que cette crise met en lumière des décennies, pour ne pas dire des siècles, de mauvaise gestion des questions autochtones.
Les restes du colonialisme
La Suisse a une chance extraordinaire de ne pas avoir été un pays colonisateur ni un pays colonisé, car personne ne sort indemne de ce processus qui a marqué l’histoire des hommes. Je ne parlerai pas ici du continent africain qui n’arrive pas à s’en sortir. Plus près de moi, Haïti, un des premiers pays décolonisés, subit toujours la malédiction des restes de l’occupation.
Au Canada, la question semble différente puisque les colons ne sont jamais repartis. Ils sont dans leur pays, même si les peuples autochtones revendiquent toujours des droits sur leurs terres ancestrales. La question est régie aujourd’hui par la Loi sur les Indiens qui date de 1876. C’est elle qui a instauré les Conseils de bandes sur qui s’est appuyé le gouvernement fédéral pour accepter le projet de gazoduc.
Malheureusement, cette loi a toujours nié l’organisation ancestrale des Premières Nations. L’opposition des chefs héréditaires vient peut-être de là. Si les Conseils de bandes régissent légalement les réserves prévues par la loi, les terres « non cédées », comme on appelle les territoires revendiqués traditionnellement par les autochtones, sont sous la protection des chefs héréditaires. Et le gazoduc traverse aussi de ces terres « non cédées » …
Les bailliages communs, un exemple pour s’en sortir ?
La situation, au-delà du blocus ferroviaire temporaire, semble inextricable. J’aime visiter l’histoire pour trouver des pistes de solutions. Je disais que la Suisse n’avait jamais connu la problématique de la colonisation, ce n’est pas tout à fait vrai. Les bailliages communs, notion que nous avons tous apprise à l’école, pourraient nous inspirer.
Ces territoires administrés par un ou plusieurs cantons ont fait partie intégrante de la Confédération helvétique jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Le Haut-Valais géra longtemps le Bas-Valais et la vallée du Lötschental sur ce même modèle. Après l’aventure napoléonienne, les anciens bailliages communs devinrent des cantons à part entière ou furent intégrés à des cantons existants avec les mêmes droits.
Peut-être que les secrets d’une véritable réconciliation se trouvent là, dans l’égalité des droits. Envoyer de l’argent pour tenter d’amener les régions colonisées à rattraper leur retard n’est pas une bonne solution. Elle engendre de la corruption et des dérapages inévitables quand la communauté traditionnelle a été déstructurée.
Seules une égalité des droits, une égalité des devoirs, une égalité des chances peuvent permettre de progresser. Au Canada, je ne vois pas d’autres solutions que la création de nouvelles provinces égales aux autres où les autochtones auraient les mêmes droits et les mêmes devoirs. C’est une utopie, je le sais, mais y a-t-il une autre voie ?
La Suisse a vraiment de la chance de ne pas avoir de Premières Nations spoliées par l’histoire !