Je terminais la semaine dernière en vous disant que j’avais découvert le secret du fonctionnement de la démocratie suisse. Enfin, pourquoi un système proportionnel peut engendrer une stabilité politique ? Cette évidence helvétique ne l’est pas en dehors de nos frontières.
« Le Conseil fédéral prend ses décisions en autorité collégiale. » L’article 177 de la Constitution fédérale à son alinéa 1 définit simplement le mode de fonctionnement du gouvernement suisse. En neuf mots, il fait du pays une exception dans les démocraties mondiales. Et je crois que c’est là un des secrets les mieux gardés de la réussite helvétique.
Décider en autorité collégiale
Le site de l’administration fédérale développe un peu cette particularité : « Conformément aux termes de la Constitution, le Conseil fédéral prend ses décisions en tant qu’autorité collégiale. Les membres du Conseil fédéral défendent les décisions prises par le collège même si celles-ci ne correspondent pas à leur opinion personnelle ou à la ligne de leur parti.
La culture suisse du consensus est respectée au sein du Conseil fédéral. En conséquence, les membres du collège cherchent des solutions acceptables pour tous au lieu d’essayer d’imposer leur point de vue et de faire valoir le principe de majorité. La volonté de trouver un consensus découle de la conviction qu’une décision ne peut s’imposer durablement que si tous les membres du collège peuvent la défendre même s’ils ne la partagent pas totalement. Mais la recherche du consensus peut être difficile et demander du temps, comme le montre parfois la préparation des affaires du Conseil fédéral. »
En deux paragraphes, tout est clair et les membres du collège qui prêtent serment sur la Constitution s’engagent à suivre ce principe de collégialité. Cette vision de la gouvernance est d’une grande sagesse. Penser qu’on est meilleur à sept que seul me paraît une évidence, mais en côtoyant un autre système politique que celui du pays où je suis né m’a vite démontré que c’est plutôt une incongruité.
Le mythe du sauveur
En effet, dans la démocratie canadienne, comme dans l’immense majorité des démocraties mondiales, on préfère se faire croire qu’en mettant un maximum de pouvoir dans les mains d’une seule personne, on sera bien gouverné. Avec 10 ans de recul au Canada, je ne peux pas dire que cette vision est dénuée de sens, mais elle ne me convainc pas.
Le système britannique qui est en vigueur au Canada, comme dans la plupart des 56 pays membres du Commonwealth que je connais maintenant bien, est un modèle du mythe du sauveur. La France ou les États-Unis le sont aussi, mais d’une autre manière. Ces démocraties qui vivent avec une majorité et une opposition fonctionnent.
La nécessité d’une alternance
Elles sont opérationnelles tant qu’on a affaire à deux partis qui s’affrontent. Ainsi le jeu veut qu’après une certaine période avec un parti, une vision de la société au pouvoir, celui-ci passe dans l’opposition. L’opposition prend alors le pouvoir pour un temps avant de le reperdre au profit de son adversaire. Cette alternance permet un équilibre, permet à la démocratie de vivre.
Avec trois partis, ça peut encore fonctionner plus ou moins. En revanche, si, comme dans le Québec d’aujourd’hui, le monde politique est fractionné entre cinq partis, le mythe du sauveur devient dangereux ou ingouvernable. Dangereux lorsqu’un parti domine tous les autres, car il pourra avec une minorité de voix détenir tous les pouvoirs. Ingouvernable si aucune majorité ne se dégage.
Le secret de la proportionnelle
Lorsque le système de vote ne permet plus une adéquation équitable entre la volonté populaire et les élus. Lorsque la représentation des partis n’est plus vue comme juste dans les parlements, la question de la proportionnelle surgit infailliblement. C’est ce qui s’est passé au Québec après les dernières élections. Je vous en ai parlé la semaine dernière.
Immédiatement, l’instabilité du gouvernement s’impose dans les débats comme un risque incontournable d’un changement de système. Jamais il n’est question de proportionnelle intégrale. On parle toujours d’une dose de proportionnelle. Les exemples de l’Italie ou d’Israël surgissent comme arguments contre l’éclatement du parlement. Trop de partis dans le législatif provoquent de l’instabilité.
Alors pourquoi le pays qui a le parlement certainement le plus représentatif de la volonté populaire est-il connu comme la démocratie la plus stable? Oui, c’est de la Suisse que je parle. La réponse à cette question se trouve dans les neuf mots magiques du début : « Le Conseil fédéral prend ses décisions en autorité collégiale. »
Le secret de la réussite du système proportionnel pour élire le législatif consiste à obliger l’exécutif à être un exécutif, c’est-à-dire un metteur en œuvre des décisions du parlement. L’article 148 de la Constitution helvétique le dit bien : « L’Assemblée fédérale est l’autorité suprême de la Confédération, sous réserve des droits du peuple et des cantons. »
Tout est là. Le législatif est le pouvoir suprême. Ça semble évident, mais la pratique est loin de cette réalité dans beaucoup de démocratie. J’y reviendrai.