Qui l’eût cru ? Le champion canadien du paraître, le gendre parfait, le dirigeant mondial le plus cool et le plus adoré de la planète, dépassé par le vieillard américain ! Depuis son arrivée à la maison blanche, le vainqueur de Trump ne cesse d’étonner et relègue son confrère du nord au rang de beau parleur et petit faiseur. L’abandon du pipeline Keystone XL illustre parfaitement la différence entre les deux dirigeants nord-américains.
« TC Energy a confirmé aujourd’hui après un examen complet de ses options et en consultation avec son partenaire, le gouvernement de l’Alberta, avoir mis fin au projet d’oléoduc Keystone XL », a annoncé l’opérateur canadien dans un communiqué laconique daté du 9 juin dernier.
Le projet de la discorde
Ce projet dont Joe Biden avait révoqué le permis octroyé par Donald Trump quelques jours après son entrée en fonction en janvier 2021 était la première pomme de discorde entre les deux hommes. Même s’il était dénoncé par les écologistes, le premier ministre canadien y tenait comme à la prunelle de ses yeux.
Il faut dire que ce projet pharaonique devait permettre une meilleure exportation du pétrole canadien. Un pipeline Keystone est en fonction depuis 2011 et permet d’envoyer du pétrole du nord de l’Alberta jusqu’en Oklahoma sur une distance de 3 461 km. Un peu moins de 600 000 barils par jour transitent par ce corridor.
Dès 2008, la compagnie canadienne TC Energy projetait de compléter ce réseau par une nouvelle construction qui devait amener le pétrole jusqu’aux raffineries du golfe du Mexique en l’allongeant de plus de 1 600 km et en plus que doublant sa capacité. Contesté par des organisations écologiques, surtout dans sa partie nord qui devait raccourcir le parcours, c’est ce deuxième pipeline qui ne verra pas le jour.
L’Alberta, une richesse vulnérable
Alors que la production annuelle de pétrole en Alberta s’élevait à un peu moins de 2 millions de barils par jour en 2019, la volonté de la province était de passer à 4 millions de barils par jour en 2022. Cela sera impossible sans Keystone XL, car il n’y aura pas de débouché possible. Les réservoirs en Alberta sont pleins.
La mauvaise desserte de la province qui ne possède pas d’accès à la mer dévalorise ce trésor naturel. Son prix est le plus bas de tous les types de pétrole, car le marché est très fermé. La plus grande partie va aux États-Unis, car ce pétrole lourd doit être mélangé à du plus léger pour être opérationnel. Même l’Alberta doit donc importer du pétrole.
Et le plus grand problème de la province, mais aussi un peu du Canada, c’est qu’ils comptent sur cette manne pour renflouer leurs budgets. L’Alberta se paie même le luxe d’avoir des impôts très bas et de ne pas percevoir de taxe à la consommation contrairement aux autres provinces canadiennes et au gouvernement fédéral. Oui, au Canada dans neuf provinces sur dix on paie 2 taxes à la consommation.
Trudeau, un faux vert !
L’exploitation des sables bitumineux pour en extraire du pétrole lourd génère énormément de CO2. Il faut placer les sables dans de gigantesques tambours rotatifs et les mélanger avec de l’eau chaude et de la vapeur pour séparer le bitume qui se lie aux bulles d’air du sable. Ce qui fait du Canada un des pires élèves de l’OCDE en émission de CO2. Seuls les États-Unis et l’Australie font moins bien. La Suisse étant en tête du classement derrière la Suède.
Alors, quand Justin Trudeau, peu après son élection en novembre 2015 a passé pour un sauveur de la planète, ce n’était que de la poudre aux yeux. Certes, il succédait au conservateur Steven Harper qui ne voulait rien savoir de la protection de l’environnement, mais toutes ces décisions sont allées dans le même sens que celle de son prédécesseur.
L’achat de Trans Mountain
D’ailleurs en mai 2018, après des mois de polémique, Justin Trudeau n’a rien trouvé de mieux à faire que de racheter l’oléoduc Trans Mountain qui mène le pétrole d’Alberta vers la Colombie-Britannique et l’océan Pacifique. Cette acquisition payée au prix fort s’est faite pour éviter qu’un autre projet d’agrandissement ne tombe à l’eau. La compagnie exploitante baissait les bras devant les difficultés.
Il faut dire qu’ici aussi cet agrandissement est fortement contesté par les Premières nations entre autres. Certaines tribus refusent que la conduite traverse leur territoire. Pour sauver l’Alberta, Ottawa a sorti son portefeuille. En vain jusqu’ici puisque le projet est toujours au point mort.
Des gouvernements sans vision
On a vu des dirigeants plus visionnaires. Malgré un discours disant que le temps du pétrole touche à sa fin, rien n’est fait pour anticiper ce moment. La Norvège, au moins, a créé un fonds souverain pour valoriser ses bénéfices et préparer l’après-pétrole. Au Canada, on est loin de ça, on dépense tout tout de suite (pour payer moins d’impôts) et on vient pleurer que personne ne nous comprend.
On pourrait s’expliquer la politique du gouvernement de l’Alberta. Enfant gâté du pays, il fait des caprices, car il a été le bon élève de la classe sans avoir besoin de travailler. Son réveil est difficile alors qu’arrive le temps où il faut bûcher pour réussir. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les derniers gouvernements de la province n’avaient rien à proposer d’autre que plus de pétrole. Quand on est assis sur les troisièmes réserves mondiales, dur de ne pas vouloir toucher au trésor.
Par contre, Justin Trudeau n’a aucune excuse, même pas électorale. Il gouverne sans les provinces pétrolières qui soutiennent presque exclusivement les conservateurs. Il n’a simplement aucune vision… Parce que soutenir l’électricité propre du Québec lui est insupportable. D’ailleurs le Québec ne lui demande rien !