Valais Libre

18 juin 2021

Biden plus vert que Trudeau !

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 6 h 39 min
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Qui l’eût cru ? Le champion canadien du paraître, le gendre parfait, le dirigeant mondial le plus cool et le plus adoré de la planète, dépassé par le vieillard américain ! Depuis son arrivée à la maison blanche, le vainqueur de Trump ne cesse d’étonner et relègue son confrère du nord au rang de beau parleur et petit faiseur. L’abandon du pipeline Keystone XL illustre parfaitement la différence entre les deux dirigeants nord-américains.

« TC Energy a confirmé aujourd’hui après un examen complet de ses options et en consultation avec son partenaire, le gouvernement de l’Alberta, avoir mis fin au projet d’oléoduc Keystone XL », a annoncé l’opérateur canadien dans un communiqué laconique daté du 9 juin dernier.

Le tracé existant (phases I et II) et les parties abandonnées (phases III et IV). Source : Keystone-pipeline-route.png

Le projet de la discorde

Ce projet dont Joe Biden avait révoqué le permis octroyé par Donald Trump quelques jours après son entrée en fonction en janvier 2021 était la première pomme de discorde entre les deux hommes. Même s’il était dénoncé par les écologistes, le premier ministre canadien y tenait comme à la prunelle de ses yeux.

Il faut dire que ce projet pharaonique devait permettre une meilleure exportation du pétrole canadien. Un pipeline Keystone est en fonction depuis 2011 et permet d’envoyer du pétrole du nord de l’Alberta jusqu’en Oklahoma sur une distance de 3 461 km. Un peu moins de 600 000 barils par jour transitent par ce corridor.

Dès 2008, la compagnie canadienne TC Energy projetait de compléter ce réseau par une nouvelle construction qui devait amener le pétrole jusqu’aux raffineries du golfe du Mexique en l’allongeant de plus de 1 600 km et en plus que doublant sa capacité. Contesté par des organisations écologiques, surtout dans sa partie nord qui devait raccourcir le parcours, c’est ce deuxième pipeline qui ne verra pas le jour.

L’Alberta, une richesse vulnérable

Alors que la production annuelle de pétrole en Alberta s’élevait à un peu moins de 2 millions de barils par jour en 2019, la volonté de la province était de passer à 4 millions de barils par jour en 2022. Cela sera impossible sans Keystone XL, car il n’y aura pas de débouché possible. Les réservoirs en Alberta sont pleins.

La mauvaise desserte de la province qui ne possède pas d’accès à la mer dévalorise ce trésor naturel. Son prix est le plus bas de tous les types de pétrole, car le marché est très fermé. La plus grande partie va aux États-Unis, car ce pétrole lourd doit être mélangé à du plus léger pour être opérationnel. Même l’Alberta doit donc importer du pétrole.

Et le plus grand problème de la province, mais aussi un peu du Canada, c’est qu’ils comptent sur cette manne pour renflouer leurs budgets. L’Alberta se paie même le luxe d’avoir des impôts très bas et de ne pas percevoir de taxe à la consommation contrairement aux autres provinces canadiennes et au gouvernement fédéral. Oui, au Canada dans neuf provinces sur dix on paie 2 taxes à la consommation.

Trudeau, un faux vert !

L’exploitation des sables bitumineux pour en extraire du pétrole lourd génère énormément de CO2. Il faut placer les sables dans de gigantesques tambours rotatifs et les mélanger avec de l’eau chaude et de la vapeur pour séparer le bitume qui se lie aux bulles d’air du sable. Ce qui fait du Canada un des pires élèves de l’OCDE en émission de CO2. Seuls les États-Unis et l’Australie font moins bien. La Suisse étant en tête du classement derrière la Suède.

Alors, quand Justin Trudeau, peu après son élection en novembre 2015 a passé pour un sauveur de la planète, ce n’était que de la poudre aux yeux. Certes, il succédait au conservateur Steven Harper qui ne voulait rien savoir de la protection de l’environnement, mais toutes ces décisions sont allées dans le même sens que celle de son prédécesseur.

L’achat de Trans Mountain

D’ailleurs en mai 2018, après des mois de polémique, Justin Trudeau n’a rien trouvé de mieux à faire que de racheter l’oléoduc Trans Mountain qui mène le pétrole d’Alberta vers la Colombie-Britannique et l’océan Pacifique. Cette acquisition payée au prix fort s’est faite pour éviter qu’un autre projet d’agrandissement ne tombe à l’eau. La compagnie exploitante baissait les bras devant les difficultés.

Il faut dire qu’ici aussi cet agrandissement est fortement contesté par les Premières nations entre autres. Certaines tribus refusent que la conduite traverse leur territoire. Pour sauver l’Alberta, Ottawa a sorti son portefeuille. En vain jusqu’ici puisque le projet est toujours au point mort. 

Vue d’un site d’exploitation de sables bitumineux à Fort McMurray, en Alberta. Source : Olivier Pontbriand, Archives La Presse

Des gouvernements sans vision

On a vu des dirigeants plus visionnaires. Malgré un discours disant que le temps du pétrole touche à sa fin, rien n’est fait pour anticiper ce moment. La Norvège, au moins, a créé un fonds souverain pour valoriser ses bénéfices et préparer l’après-pétrole. Au Canada, on est loin de ça, on dépense tout tout de suite (pour payer moins d’impôts) et on vient pleurer que personne ne nous comprend.

On pourrait s’expliquer la politique du gouvernement de l’Alberta. Enfant gâté du pays, il fait des caprices, car il a été le bon élève de la classe sans avoir besoin de travailler. Son réveil est difficile alors qu’arrive le temps où il faut bûcher pour réussir. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les derniers gouvernements de la province n’avaient rien à proposer d’autre que plus de pétrole. Quand on est assis sur les troisièmes réserves mondiales, dur de ne pas vouloir toucher au trésor.

Par contre, Justin Trudeau n’a aucune excuse, même pas électorale. Il gouverne sans les provinces pétrolières qui soutiennent presque exclusivement les conservateurs. Il n’a simplement aucune vision… Parce que soutenir l’électricité propre du Québec lui est insupportable. D’ailleurs le Québec ne lui demande rien !

11 juin 2021

Le Canada aux prises avec son passé colonial

La découverte d’enfants autochtones enterrés en Colombie-Britannique réveille la douloureuse question du passé colonial du Canada. Dès leur arrivée au début du 17e siècle, les Européens ont occupé un espace traditionnellement dévolu à des populations indigènes. La cohabitation n’a pas été un long fleuve tranquille et aujourd’hui encore, beaucoup de questions restent en suspens.

« Les restes de 215 enfants ont été retrouvés enterrés sur le site d’un ancien pensionnat autochtone à Kamloops, en Colombie-Britannique, une découverte qualifiée de « déchirante », mais pas surprenante pour autant. » Cette annonce de Radio-Canada, du 28 mai dernier, a eu un retentissement international. Au Canada, il réveille de vieilles douleurs et exacerbe un débat toujours présent. Je vais tenter un survol historique pour situer ce débat dans un contexte global de la colonisation du Canada.

Le pensionnat indien de Kamloops, vers 1930. Photo par ARCHIVES DESCHÂTELETS-NDC, RICHELIEU

Le pensionnat indien de Kamloops, vers 1930. Photo par ARCHIVES DESCHÂTELETS-NDC, RICHELIEU

De Champlain à la conquête anglaise.

Bien que des contacts entre l’Europe et l’Amérique du Nord remontent vraisemblablement vers l’an 1 000 voire avant, tout commence avec la « Grande Tabagie » de 1603 où le chef innu Anadabijou déclare « Vous êtes les bienvenus ici, vous pouvez peupler ces terres si vous le souhaitez, mais à une condition : vous allez combattre nos ennemis à nos côtés. »

Samuel de Champlain, le futur fondateur de Québec, accepte et combattra plus tard aux côtés de ses nouveaux alliés. C’est sur ce pacte fondateur amical que repose la colonisation française. Tout ira plus ou moins bien jusqu’à la conquête de la région par les Anglais en 1760.

Ceux-ci ont une autre vision des relations avec les autochtones. Ils doivent être des sujets soumis et quand ils se révoltent comme au début de l’occupation en 1763, rien ne retient la puissance conquérante. Selon l’idée d’un mercenaire suisse Henri Bouquet (dont on ne peut pas être fier), ils vont inventer la guerre bactériologique en offrant aux villages indiens des couvertures contaminées à la petite vérole.

Tuer l’Indien dans l’enfant

Un siècle plus tard, alors que se dessine la naissance de l’État canadien et que le besoin de coloniser l’Ouest canadien est essentiel, il s’agit de « tuer l’Indien dans l’enfant » selon une formule d’un des Pères de la Confédération John A. Macdonald qui lancera dès 1883 le programme des pensionnats autochtones.

Il s’agissait alors de démanteler les foyers autochtones en séparant les enfants de leur famille. Ces pensionnats devaient rompre les liens et préparer de bons petits capitalistes utiles à la société naissante. L’école de Kamloops où l’on vient de retrouver les restes d’enfants a été, par exemple, en activité entre 1890 et 1969. Ensuite, le gouvernement fédéral a repris l’établissement de l’Église catholique, et il a été utilisé comme école de jour jusqu’à sa fermeture, en 1978.

Ces institutions trouvent leur base légale dans la Loi sur les Indiens qui date de 1876 qui fait des Autochtones des « pupilles » de l’État. Toujours en vigueur, cette loi, malgré des modifications, est encore un obstacle majeur à une saine cohabitation entre ceux qu’on appelle aujourd’hui les Premières Nations et la population canadienne.

Encore et toujours des réserves

Cette Loi sur les Indiens a aussi instauré des réserves, des terres de la Couronne britannique réservées à l’usage des Autochtones. Il en existe aujourd’hui près de 2300 au Canada. Chacune d’entre elles est dirigée par un Conseil de bande qui possède différents pouvoirs et qui dépendent directement du gouvernement fédéral à Ottawa.

Au recensement de 2011, il y avait 1 400 000 Autochtones au Canada, soit un peu plus de 4 % de la population. Les habitants d’une réserve, s’ils sont des « pupilles » de l’État et que leur autonomie n’est pas complète, ne paient pas de taxes à la consommation sur le territoire et reçoivent des terres en usufruit. Certaines peuvent aussi opérer des maisons de jeux.

Cette situation génère souvent des tensions avec les municipalités environnantes, mais surtout provoque de multiples problèmes sociaux. Obésité, maladie mentale, alcoolisme et autres dépendances sont monnaie courante surtout dans les réserves éloignées des zones de développement économique. Malgré le constat général que ce mode de fonctionnement est inadéquat, aucun gouvernement fédéral n’ose réformer cette loi d’un autre temps.

La statue John A Macdonald à Montréal a plusieurs fois été peinte en rouge ces dernières années avant d’être déboulonnée en 2020. Source : La Presse canadienne/Ryan Remiorz

Les territoires non cédés

Dans la deuxième moitié du 20e siècle, la justice a pris une grande importance dans les relations entre les Premières Nations et les autorités tant fédérales que provinciales au Canada. On voit alors apparaître la notion de territoire non cédé, c’est-à-dire n’ayant jamais fait l’objet d’un traité.

L’exemple de la Convention de la baie James signée en 1975 illustre cette notion. Face à la volonté du gouvernement du Québec de développer l’hydroélectricité dans le secteur de la baie James en construisant plusieurs barrages imposants, les Cris et les Inuits du Nord-du-Québec s’y opposent devant les tribunaux qui leur donnent raison.

Après quatre ans de négociations, un accord est conclu. Il donne le droit au Québec d’utiliser les ressources énergétiques de la région contre le paiement d’une indemnité. Les populations locales peuvent ainsi prospérer et bénéficier de quelques retombées, un peu comme les concessions hydrauliques en Suisse.

Tout n’est pas réglé avec cet accord qui ne concerne qu’un petit territoire à l’échelle du Canada, mais il montre une voie. Quelques années plus tard, en 1990, la révolte d’Oka à proximité de Montréal laissera des traces profondes. Et aujourd’hui alors que le 21e siècle est bien engagé, il n’y a toujours pas de solutions à l’horizon.

Des drames récents comme la mort d’une patiente autochtone sous des insultes racistes d’une infirmière dans un hôpital québécois secouent la société. Mais comme tout pays colonial, le Canada doit faire face à son passé. Ce n’est pas simple…

4 juin 2021

Que ne fait-on pas en ton nom Liberté !

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Enfin, les mesures se relâchent. On peut espérer un été plus joyeux et plus festif. Mais ce déconfinement ne doit pas nous faire oublier le chemin parcouru. Je voudrais revenir sur une notion qui me semble avoir été passablement galvaudée ces derniers mois : la Liberté. Des deux côtés de l’Atlantique, on l’a utilisée à toutes les sauces. C’est dangereux.

Sur la santé revenue

Sur le risque disparu

Sur l’espoir sans souvenir

J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

Liberté.

Les derniers vers du célèbre poème écrit en 1942 par Paul Eluard sonnent étrangement actuels. Pourtant le contexte est éminemment différent. En 1942, c’est une armée d’occupation qui brimait la liberté alors qu’aujourd’hui nous subissons les affres d’un méchant virus.

La Liberté de Paul Eluard illustrée par Fernand Léger. Source : L. Saphire, Fernand Léger. L’œuvre gravée p. 300.

Des manifestations déplacées

« Libaaartééé ! » c’est à ce cri de ralliement avec l’accent dans le texte que des foules se sont réunies un peu partout à travers le Québec pour s’opposer aux mesures sanitaires. De Montréal à Saint-Georges-de-Beauce en passant par Québec, les manifestations se sont multipliées en mai. Il faut croire que ce mois est voué aux grands rassemblements de protestation.

Le retour du printemps y est sûrement pour beaucoup. Les anti-masques, c’est ainsi qu’on les appelle, étaient plus de 30 000 à Montréal en mai. La Beauce, la région entre la ville de Québec et la frontière américaine a aussi été un foyer de résistance. Les Beaucerons sont connus pour leur caractère, disons, particulier, voire réfractaire à toute obligation.

Mais ce cri de « Liberté » a aussi été bien présent en Suisse à la même période. Je l’ai entendu plusieurs fois au téléjournal sur TV5 Monde. De Genève à Romanshorn en passant par Neuchâtel, Liestal, Altdorf et bien d’autres endroits. La révolte semble nationale.

À trop crier « au loup ! »

Mais si Paul Eluard lançait ses mots sublimes pour crier son désespoir face à une occupation militaire, nos résistants actuels en veulent à leurs gouvernements respectifs d’essayer tant bien que mal de protéger leur population contre une maladie qui peut être mortelle. Convenez qu’il n’y a aucune commune mesure entre les deux situations. 

Des vies sont en jeu à chaque fois, mais hurler « au loup ! » à la moindre contrariété est un peu enfantin. Relire la fable d’Ésope ou les multiples déclinaisons qui ont été écrites à travers les siècles du « Garçon qui criait au loup » remettrait l’église au milieu du village ou plutôt la notion de Liberté là où elle devrait rester.

Car la Liberté (avec un L majuscule) est trop précieuse pour être confondue avec notre petit confort égoïste. Les manifestants dont je parlais plus haut sont plus que repus de Liberté et ne savent pas ce qu’elle vaut vraiment. Qu’ils demandent à Roman Protassevitch, le journaliste biélorusse dont l’avion a été détourné, ce que ce mot veut dire !

Manifestants anti-masques à Montréal. Source : Le Quotidien

Des mesures différentes

Laissons là la Liberté majuscule et parlons maintenant un peu de nos petites libertés quotidiennes légèrement bouleversées pour sauver des vies précieuses. Je vous l’accorde, on ne saura jamais exactement quelles mesures auront été efficaces et lesquelles auront été superflues. Toutefois, en se comparant on trouve quelques indices.

Et la Suisse ne peut vraiment pas se plaindre ni crier à la dictature sanitaire ! Je n’entrerai pas dans de fastidieuses analyses internationales, mais je vais simplement décrire ce que j’ai vécu ici au Québec. Depuis la fin septembre 2020, je n’ai pas le droit de recevoir quelqu’un chez moi. Uniquement les personnes vivant seules peuvent accueillir une visite !

Cette mesure est toujours en vigueur à l’heure où je vous écris ces lignes (une semaine avant que vous les lisiez), l’unique assouplissement survenu est que je peux accueillir des personnes provenant d’une seule autre adresse sur mon patio dès aujourd’hui. Le couvre-feu de 20 h présent depuis le début de l’année vient aussi d’être levé. Je vous passe l’histoire des commerces et surtout les restaurants qui peuvent depuis peu ouvrir leur terrasse.

Les déficiences d’un système

Donc la liberté suisse n’a pas été mise à mal en comparaison québécoise. Pourtant, si on regarde froidement les chiffres, le parallèle ne montre pas une différence aussi significative : pour une population similaire, il y a 300 morts de plus au Québec à ce jour. Pourquoi donc des mesures si différentes ?

Premier constat, si les morts sont comparables, le nombre de cas ne l’est pas : 693 000 en Suisse contre 369 000 au Québec. Presque du simple au double ! Les mesures plus strictes au Québec ont donc bien un effet. La grande différence vient du système de santé qui a été largement déficient au Québec.

Premièrement, au début de la pandémie, les résidences médicalisées pour aînés (CHSLD) ont vécu une hécatombe abominable dont j’ai abondamment parlé en 2020. Ensuite, le réseau de la santé est bien plus vite saturé au Québec qu’en Suisse. Il est évident que cette mauvaise gestion des politiques sanitaires québécoises remonte à loin dans le temps.

Mais, ni en Suisse ni au Québec, ça nous autorise à pervertir la valeur suprême de Liberté !

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