Dans un peu plus de deux mois, les Américains voteront. On saura alors si Donald Trump n’aura été qu’une parenthèse dans l’histoire des États-Unis ou si son empreinte sera plus durable. Même s’il semble battu par les sondages, rien n’est joué. Ses partisans sont nombreux et prêts à beaucoup pour qu’il « sauve le monde ». Quoi qu’il arrive, il paraît certain que QAnon sera représenté parmi les élus du congrès.
« QAnon est une théorie du complot d’extrême droite selon laquelle Donald Trump livrerait une guerre secrète contre des élites implantées dans le gouvernement, les milieux financiers et les médias », voilà ce qu’en dit Wikipédia. Mais ce mouvement, né en 2017 est beaucoup plus complexe et sérieux qu’il paraît au premier abord.
Le « Pizzagate » sous stéroïdes
Le 4 décembre 2016, un déséquilibré du nom d’Edgar Maddison Welch s’est présenté armé jusqu’aux dents au restaurant Comet Ping Pong, à Washington. Welch venait « enquêter » au restaurant, espérant y débusquer un réseau de pédophiles.Il croyait trouver dans le sous-sol du restaurant des enfants réduits en esclavage sexuel. Il a sorti une arme et tiré trois fois, heureusement sans faire de victime[1].
Le restaurant n’avait pas de sous-sol et son « enquête » ne rimait à rien. Il croyait à ce qu’on a appelé le « Pizzagate », une théorie conspirationniste qui voulait qu’Hillary Clinton et son entourage étaient au cœur d’un réseau pédophile qui voulait diriger le monde pour l’offrir à une classe dirigeante occulte.
QAnon s’est construit un peu sur les mêmes bases, mais en allant beaucoup plus loin. Les Clinton, Rockfeller, Obama, Soros et autres grands agents du mal dirigent le monde pour leurs seuls intérêts et pour assouvir leurs plus bas instincts. Certains vont même jusqu’à croire que John Fitzgerald Kennedy a été assassiné par ces forces maléfiques parce qu’il les avait démasquées !
Heureusement le mystérieux Q est là !
En octobre 2017, un certain « Q Clearance Patriot » apparaît sur 4chan – un forum américain connu pour sa virulence, où n’importe qui peut poster n’importe quoi, ou presque, sous pseudo. Il se présente comme une taupe infiltrée ayant accès à des documents classifiés, selon lesquels Donald Trump travaillerait secrètement à débarrasser le monde d’un réseau criminel mené par des milliardaires et figures démocrates célèbres. Ces derniers contrôleraient un « état profond » (une administration parallèle) aux États-Unis, et cacheraient également un vaste réseau pédocriminel[2].
En trois ans, le mouvement a pris de l’ampleur. Amplifié par des allusions faites directement par le président Donald Trump, les adeptes de cette théorie. QAnon est le diminutif de Q Anonymus qui désignait au départ l’auteur des messages. Il est devenu petit à petit le nom de la théorie du complot et de ses adeptes.
Ceux-ci croient que Donald Trump est leur sauveur et qu’il réussira grâce à l’appui de l’armée lors d’une opération « Tempête » à prendre le contrôle du pays et à le débarrasser des éléments dangereux qui exploitent le peuple. Les messages de Q alimentent savamment cet état d’esprit, car ils exploitent tous les codes des sectes sataniques et surtout posent des questions qui incitent les adeptes à faire leurs propres recherches.
Ces messages sont attendus avec fébrilité par des centaines de milliers de personnes dans le monde – jusqu’à 1,7 million aux États-Unis, estime Marc-André Argentino,
un chercheur de l’Université Concordia à Montréal– messages décryptés avec la ferveur de ceux qui cherchent la Vérité dans les Saintes Écritures…[3]
QAnon, de plus en plus présent
Le mouvement est de plus en plus présent. Depuis les manifestations contre les violences policières et le racisme suite à l’assassinat de George Floyd par un policier, le 25 mai dernier à Minneapolis, on ne compte plus les contre-manifestations où la lettre Q est bien présente sur des drapeaux ou sur des tee-shirts. Les conférences de presse de Donald Trump n’échappent pas à la présence de ces adeptes. Le président refuse de les condamner. Il va même jusqu’à leur apporter de discrets soutiens.
Les groupes sur les réseaux sociaux sont toujours plus actifs et incisifs, au point que Facebook a supprimé, le 20 août,près de 900 groupes et pages associés au mouvement conspirationniste QAnon. Même si le FBI a désigné le mouvement comme représentant un danger public dès mai 2019, ça n’a pas empêché au moins 14 candidats ont gagné l’investiture pour le parti républicain en vue des élections à la Chambre des représentants. Nul doute qu’il y aura un ou plusieurs adeptes qui siègeront à Washington lors de la prochaine législature.
Rien n’est encore joué
Si QAnon peut paraître anecdotique, il est un signal que rien n’est simple dans ce qu’il se passe aux États-Unis. Si notre tradition démocratique nous permet de bien comprendre la complexité du système où les régions ont une influence notable sur le résultat final, elle n’est pas habituée à décoder les méandres de l’électorat américain.
Ceux-ci sont complexes et brouillent la perception que nous pouvons avoir de la réalité vécue par les États-Unis. À deux mois des élections présidentielles, rien n’est joué. Les sondages donnent Joe Biden vainqueur, mais sa marge n’est pas si grande (moins de 10 % selon une moyenne publiée le 20 août) et la vraie campagne commence à peine.
J’aurai l’occasion ces prochaines semaines de vous présenter d’autres aspects moins connus de la campagne qui se déroule chez mon voisin du sud.
Les adeptes de QAnon s’affichent de plus en plus ostensiblement. Source : La Presse – Photo Sandy Huffaker, AFP
QAnon s’affiche de plus en plus. Le sergent Matt Patten du bureau du shérif de Broward (à gauche) portait un écusson QAnon rouge sur sa poitrine quand lui et d’autres adjoints ont accueilli le vice-président Mike Pence en Floride en novembre 2018. Source : http://www.buzzfeednews.com
[1] La Presse du 13 août 2020
[2] Le Monde du 5 août 2020
[3] La Presse du 13 août 2020