Valais Libre

30 octobre 2020

30 octobre 1995, un Québec déchiré presque à 50 %

Ce mois d’octobre est un mois d’anniversaires au Québec. Il y a 50 ans, c’était la Crise d’octobre dont je vous ai parlé dans mes dernières chroniques et aujourd’hui, 30 octobre, c’est le 25e anniversaire du deuxième référendum sur l’indépendance. Ce second rendez-vous manqué n’est pas sorti de nulle part, mais il aura fait très mal aux indépendantistes qui attendent toujours une troisième occasion.

Dans ma chronique du 22 mai dernier, j’évoquais le premier référendum sur l’indépendance du 20 mai 1980 qui a vu 60 % de la population rejeter l’idée d’une « souveraineté-association » prônée par le premier ministre d’alors, René Lévesque. Au soir du référendum, il avait déclaré : « Si je vous ai bien compris… vous êtes en train de dire… à la prochaine fois. »

Quinze ans d’attente

Il faudra attendre 15 ans avant que cette prochaine fois arrive. Mais le gouvernement du PQ n’avait pas attendu cette défaite pour réformer en profondeur le Québec. Il terminera ce qu’on a appelé la Révolution tranquille et mettra pleinement en œuvre son programme social-démocrate. Il perdra le référendum de 1980, mais paradoxalement sera reconduit au pouvoir moins d’une année plus tard aux élections de 1981.

Ce paradoxe est loin d’être le seul de cette période où les Québécois ont largement soutenu René Lévesque au niveau provincial et Pierre Elliott Trudeau au niveau fédéral. Deux des plus grands adversaires dans leur vision du Québec ont été soutenus en même temps par les électeurs. Ça reste un grand mystère. Surtout que Trudeau n’allait pas tarder à trahir le Québec avec sa réponse au NON de 1980.

La nuit des longs couteaux

Nous connaissons tous en Suisse cette expression « Nuit des longs couteaux ». Qui ne se souvient pas de cette veillée d’armes entre le 11 et le 12 décembre 2007 ? Nous étions une équipe de radicaux valaisans descendus à Berne pour fêter l’élection de Notre Pascal à la présidence de la Confédération. Mais c’est l’éviction de Christoph Blocher qui marquera l’histoire.

René Lévesque et, assis, Pierre Elliott Trudeau lors de la conférence fédérale-provinciale de novembre 1981 : les sourires avant la trahison. Source : Le Devoir – Photo: La Presse canadienne

La nuit des longs couteaux pour le Québec s’est déroulée le 4 novembre 1981 au Canada. Réunis à Ottawa, les dix premiers ministres des provinces canadiennes négocient avec le gouvernement fédéral de Pierre Elliot Trudeau sur son projet de rapatriement de la Constitution. Eh oui, le Canada dépendait encore de Londres pour sa constitution, il ne deviendra pleinement indépendant qu’en 1982 après le retour à Ottawa de sa Constitution. Ils sont divisés sur le projet de Trudeau. Le Québec veut garder ses spécificités historiques.

Plus rusé que Machiavel, Trudeau attend le départ de René Lévesque pour son hôtel de Hull au Québec, juste de l’autre côté de la rivière des Outaouais qui sépare cette ville de la capitale Ottawa, pour négocier secrètement avec les neuf premiers ministres anglophones. Au matin, au retour de René Lévesque, tout est joué. Un accord à neuf a été trouvé. Le Québec n’est plus qu’une province parmi d’autres. Son rôle fondateur a disparu.

En marche vers un nouveau référendum

Je vous passe tous les épisodes de la saga constitutionnelle qui a opposé Québec à Ottawa durant cette période entre les deux référendums. En 1985, les libéraux remplacent le Parti québécois à la tête du Québec alors que les conservateurs avaient défait les libéraux aux élections fédérales de 1984. Une nouvelle dynamique peut alors s’établir.

Deux tentatives d’accords sont alors tentées par le premier ministre canadien, Brian Mulroney, un Québécois. En 1987, les accords du lac Meech reconnaîtront le Québec comme « société distincte », mais trois ans plus tard, toutes les provinces ne l’auront pas ratifié et il sera alors rejeté. 

Deux ans plus tard, les gouvernements fédéraux, provinciaux et les premières nations signent l’accord de Charlottetown pour une réforme constitutionnelle. Mais ce projet sera rejeté lors d’un référendum canadien par 55 % des votants (56 % de NON au Québec) le 26 octobre 1992.

Un vote des plus serrés

Les portes sont alors grandes ouvertes pour un nouveau référendum d’indépendance. Car ce refus permettra le retour au pouvoir à Québec du Parti québécois en septembre 1994 qui retrouvera face à lui le Parti libéral du Canada de retour au pouvoir à Ottawa en octobre 1993. Tout est en place pour un « remake » de 1980. Jacques Parizeau, chef du PQ est face à un autre Québécois, Jean Chrétien, premier ministre libéral du Canada.

« Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec et de l’entente signée le 12 juin 1995 ? » La question est plus courte qu’en 1980, plus claire aussi.

Les estimations de foule publiées au lendemain du love-in montréalais varient de 30 000 à 150 000 manifestants. Des rassemblements de moindre envergure en faveur de l’unité canadienne ont également eu lieu ce jour-là un peu partout au pays. Source : Ryan Remiorz/archives la Presse canadienne

Le résultat lui, le sera moins. Après une campagne houleuse où le gouvernement fédéral ne se gênera pas pour intervenir. Trois jours avant le vote, près 150 000 Canadiens venus de toutes les provinces viennent déclarer leur amour pour le Québec. Ce sera suffisant de justesse. Le OUI l’emportera de 54 288 voix alors qu’une participation record de 93,5 % marquera ce scrutin.

Le premier ministre du Québec, Jacques Parizeau mettra cette défaite sur le dos « de l’argent et des votes ethniques ». Cette déclaration hantera longtemps les indépendantistes qui attendent toujours une troisième tentative.

23 octobre 2020

Les années 80 : les rendez-vous manqués des indépendantistes québécois

Ce mois d’octobre est un mois d’anniversaires au Québec. Il y a 50 ans, c’était la Crise d’octobre dont je vous ai parlé dans mes dernières chroniques et le 30 octobre, ce sera le 25e anniversaire du deuxième référendum sur l’indépendance qui fera l’objet de ma chronique de la semaine prochaine. Aujourd’hui, je vais évoquer les années 80 où, à mon avis, les indépendantistes québécois ont raté les plus belles occasions de faire du Québec un pays.

Le 15 novembre 1976, la vieille politique québécoise a été balayée. Source : Quinze novembre : petit album d’images sur une journée pas comme les autres, suivi d’un discours historique de René Lévesque. Montréal, Éditions Intrinsèque Inc.

Dans ma chronique du 22 mai dernier, j’évoquais le premier référendum sur l’indépendance du 20 mai 1980 qui a vu 60 % de la population rejeter l’idée d’une « souveraineté-association » prônée par le premier ministre d’alors, René Lévesque. Au soir du référendum, il avait déclaré : « Si je vous ai bien compris… vous êtes en train de dire… à la prochaine fois. »

Un gouvernement péquiste qui a réussi

Il faudra attendre 15 ans avant que cette prochaine fois arrive. Mais je vous propose de remonter un peu le temps et de revenir au 15 novembre 1976 où, comme je vous le disais la semaine passée, le Parti québécois (PQ) formait le premier gouvernement indépendantiste de l’histoire du Québec. 

Rapidement, les indépendantistes marqueront leur territoire. Le discours inaugural du gouvernement devant l’Assemblée nationale (parlement du Québec) sera pour la première fois uniquement en français. Les anglophones n’ont qu’à bien se tenir, ce n’est qu’un début. Une année plus tard, la loi 101 viendra affirmer la primauté du français au Québec.

Connue sous le nom de Charte de la langue française, cette loi, portée par le ministre Camille Laurin, définit les droits linguistiques des Québécois et confirme le français comme langue officielle. Elle méritera sûrement une future chronique, car elle va être bientôt remise au goût du jour.

Mais le gouvernement du PQ réformera bien plus en profondeur le Québec. Il terminera ce qu’on a appelé la Révolution tranquille et mettra pleinement en œuvre son programme social-démocrate. Il perdra le référendum de 1980, mais paradoxalement sera reconduit au pouvoir moins d’une année plus tard aux élections de 1981.

Un Québec schizophrène ?

Ce paradoxe est loin d’être le seul de cette période où les Québécois ont largement soutenu René Lévesque au niveau provincial et Pierre Elliott Trudeau au niveau fédéral. Deux des plus grands adversaires dans leur vision du Québec ont été soutenus en même temps par les électeurs. Ça reste un grand mystère.

Parce que Trudeau qui avait promis qu’un NON au référendum de 1980 était finalement un OUI au changement a tenu parole. Mais certainement pas dans le sens que voulaient les Québécois qui ont reconduit au pouvoir les péquistes en avril 1981. Il avait démontré sa volonté de rapatrier la constitution canadienne qui était toujours dans les mains du Parlement de Londres avant les élections.

Son projet décrié par le Parti québécois n’a pas empêché les électeurs de réélire les adversaires de Trudeau. Tous les éléments d’une nouvelle bataille étaient sur la table. Le Québec a toujours défendu l’idée que le Canada est né en 1867 par la volonté de deux peuples fondateurs : les francophones et les anglophones. Pierre Elliott Trudeau a complètement démoli cet héritage en faisant du Canada une société multiculturelle où les anciens Canadiens français ne sont qu’un peuple parmi d’autres de la nation canadienne.

La nuit des longs couteaux

Nous connaissons tous en Suisse cette expression « Nuit des longs couteaux ». Qui ne se souvient pas de cette veillée d’armes entre le 11 et le 12 décembre 2007 ? Nous étions une équipe de radicaux valaisans descendus à Berne pour fêter l’élection de Notre Pascal à la présidence de la Confédération. Mais c’est l’éviction de Christoph Blocher qui marquera l’histoire.

René Lévesque et, assis, Pierre Elliott Trudeau lors de la conférence fédérale-provinciale de novembre 1981 : les sourires avant la trahison. Source : Le Devoir – Photo: La Presse canadienne

La nuit des longs couteaux pour le Québec s’est déroulée le 4 novembre 1981 au Canada. Réunis à Ottawa, les dix premiers ministres des provinces canadiennes négocient avec le gouvernement fédéral de Pierre Elliot Trudeau sur son projet de rapatriement de la Constitution. Ils sont divisés. Le Québec a signé une entente avec sept autres provinces, deux font bande à part.

Plus rusé que Machiavel, Trudeau attend le départ de René Lévesque pour son hôtel de Hull au Québec, juste de l’autre côté de la rivière des Outaouais qui sépare cette ville de la capitale Ottawa, pour négocier secrètement avec les neuf premiers ministres anglophones. Au matin, au retour de René Lévesque, tout est joué. Un accord à neuf a été trouvé. Le Québec n’est plus qu’une province parmi d’autres. Son rôle fondateur a disparu.

Une faible réaction

Face à cette trahison, le gouvernement du Québec s’adresse à la Cour Suprême pour faire valoir son droit de véto. Ce droit ne lui sera pas reconnu et le Québec ne signera jamais cette Constitution. René Lévesque et son gouvernement refuseront la proposition des plus extrémistes de déclarer unilatéralement l’indépendance en réaction à cette trahison canadienne.

Les choses s’apaiseront et cinq ans plus tard, un autre premier ministre du Canada originaire du Québec, Brian Mulroney tentera une réconciliation avec le Québec. Les négociations se concluent au Lac Meech, la résidence secondaire officielle du premier ministre du Canada à une vingtaine de kilomètres au nord de la capitale, mais au Québec.

Cet accord pour une réforme constitutionnelle permettant au Québec de rejoindre l’unanimité des provinces sera finalement rejeté par quelques-unes au terme du délai de trois ans pour une ratification par toutes les provinces. Ce rejet relancera le mouvement indépendantiste qui reprendra le pouvoir dans les années 1990 et marchera vers le 2e référendum.

16 octobre 2020

Crise d’octobre et le mouvement indépendantiste au Québec

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 7 h 48 min
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Il y a 50 ans jour pour jour, le 16 octobre 1970, la Loi sur les mesures de guerre était promulguée au Québec. Le lendemain, Pierre Laporte, otage du Front de libération du Québec (FLQ), mourrait dans des circonstances troubles. J’ai fait le récit de ce mois noir au Québec dans l’édition de la semaine dernière. Voyons, aujourd’hui, comment s’est développé le mouvement indépendantiste québécois durant ces années.

Le 13 octobre 1970 à Montréal, des milliers de Québécois scandaient « FLQ ! FLQ! » en réponse à l’intervention de l’armée. Trois jours plus tard, 500 arrestations et plus de 30 000 perquisitions refroidissaient les plus militants. Le lendemain, la mort du ministre Pierre Laporte discréditaient à tout jamais le FLQ aux yeux d’une grande majorité des Québécois. Cet épisode sanglant de l’histoire des luttes pour l’indépendance du Québec s’inscrit dans un mouvement politique bien plus large.

Fondation du RIN et visite royale

Si le FLQ est né en 1963, il faut remonter quelques années auparavant pour voir un mouvement citoyen prôner l’indépendance du Québec. C’est le 10 septembre 1960 qu’une trentaine de personnes fondent le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN). En 1963, le mouvement devient un parti politique sous la présidence de Pierre Bourgault.

À la même époque, la reine d’Angleterre annonçait une visite au Québec pour le mois d’octobre 1964. Son passage en ville de Québec restera dans l’histoire comme « le samedi de la matraque ». Pierre Bourgault est venu chauffer ses troupes la veille de la visite dans la Capitale nationale, mais il sera refoulé par la police. Ça n’empêchera pas les troubles du lendemain.

« Les coups furent distribués sans discernement aucun […]. J’ai vu des policiers satisfaits de cette action. L’ordre à ce moment-là, n’était nullement en cause. Jamais la provocation n’a été de nature à justifier ces méthodes radicales. Et les journalistes qui ont rapporté cet incident n’ont rien inventé. […] » Le récit paru dans Le Devoir du 22 octobre 1964 résume l’ambiance de cette visite. Les policiers de Québec se sont donnés à cœur joie en bastonnant tout ce qui passait à leur portée.

Caricature d’André-Philippe Côté rappelant « le samedi de la matraque » à l’occasion du centenaire du journal Le Soleil. Source : Le Soleil 27 octobre 1996

Vive le Québec libre !

Mais c’est une autre visite qui jettera à la face du monde le combat des indépendantistes québécois. « Vive Montréal ! Vive le Québec ! Vive le Québec libre ! Vive le Canada français ! Vive la France ! » Le 24 juillet 1967, le général de Gaulle terminait un discours improvisé depuis le balcon de l’hôtel de ville de Montréal avec une formule dont il avait le secret.

Rien de diplomatique là-dedans. Le général qui était venu en bateau, pour ne pas avoir besoin d’atterrir à Ottawa comme le veut le protocole, avait débarqué la veille à Québec. Il devait le 25 juillet inaugurer le pavillon français de l’exposition universelle de Montréal. Il a profité de ce voyage pour fouetter le nationalisme québécois et le faire connaître loin à la ronde.

Le général de Gaulle au balcon de l’Hôtel de ville de Montréal – Source : Le Temps du 29 juillet 1967

René Lévesque et le PQ

Ces mots du général n’ont pas seulement irrité Ottawa qui s’est empressé de déclarer persona non grata le président français, mais ils ont aussi secoué les partis politiques au Québec et tout particulièrement le Parti libéral alors au pouvoir dans la province. Quelques jours plus tard, un premier député François Aquin, quittait le parti.

Quelques mois plus tard, le 14 octobre 1967, après le rejet de son projet « Un pays qu’il faut faire », le ministre des Richesses naturelles, René Lévesque tournait, à son tour, le dos au Parti libéral du Québec et fondait le Mouvement souveraineté-association (MSA).

Une année plus tard, en octobre 1968, le MSA fusionnait avec le Ralliement national pour devenir le Parti québécois (PQ). Le RIN était dissout au même moment et ses membres pouvaient rallier à titre individuel le nouveau parti indépendantiste.

Le pouvoir avant le référendum

Le 30 avril 1970, quelques mois avant la Crise d’octobre, le Parti québécois participait à ses premières élections. Il récoltait 23 % des voix mais que 7 des 108 sièges de l’Assemblée nationale du Québec. L’Union nationale et le Ralliement créditiste avec respectivement 20 % et 11 % des voix récoltaient 17 et 12 sièges, alors que le Parti libéral en avait 72 avec 46 % des voix. Ce résultat dû au système électoral (uninominal à 1 tour dans 108 circonscriptions) explique peut-être pourquoi certains en appelèrent à la radicalisation de la lutte.

Malgré l’échec de la voie révolutionnaire, le Parti québécois poursuivit son chemin et après la perte d’un député aux élections de 1973 malgré un score de 30 % des voix, gagna les élections du 15 novembre 1976. Avec 41 % des voix, il récoltait 71 sièges à l’Assemblée nationale et formait le premier gouvernement indépendantiste avec René Lévesque comme premier ministre.

En huit ans, l’ascension a été fulgurante. Il restait alors à préparer un référendum pour demander au peuple s’il voulait se séparer du Canada. Je développerai ce prochain épisode marquant de l’histoire moderne du mouvement indépendantiste québécois la semaine prochaine.

9 octobre 2020

Il y a 50 ans au Québec, un octobre noir.

Le mois d’octobre 1970 restera un moment particulièrement triste dans l’histoire du Québec. Les actions du Front de libération du Québec (FLQ) et la réplique du gouvernement de Pierre-Elliott Trudeau qui s’est traduite par la Loi sur les mesures de guerre allaient changer à tout jamais le visage du Québec. Une crise qui passera à l’histoire sous le nom de « Crise d’octobre ».

Un diplomate et un politicien sont enlevés par un groupe terroriste. Le gouvernement envoie l’armée dans les rues. Le récit est digne d’un scénario de film, mais l’histoire est bien réelle. Ça se passait au Québec en octobre 1970…

Les Forces canadiennes montent la garde au centre-ville de Montréal. Source : Montreal Gazette du 18 octobre 1970

Avant 1970

Il faut remonter en 1963 pour comprendre la genèse de ce mois noir au Québec. En ce temps-là, la société québécoise est dominée par une « aristocratie » anglaise qui domine le monde économique. Les canadiens-français croupissent pour la majorité dans une morosité économique. Pierre Vallières parlera même de « Nègres blancs d’Amérique[1] » en 1968 pour décrire le traitement imposé aux francophones.

En 1963 donc, trois jeunes militants fondent le Front de libération du Québec (FLQ). Impatients, ils veulent se mettre à l’action directe pour stimuler la cause de l’indépendance. En mars 1963, des bombes incendiaires du FLQ explosent dans trois casernes militaires et on déboulonne la statue du général Wolfe, le vainqueur de la conquête anglaise du Canada en 1759. 

En sept ans, les attentats du FLQ feront six morts et de nombreux blessés. À lui seul, celui du 13 février 1969 à la Bourse de Montréal a touché 27 personnes, dont trois grièvement, en plus de causer un million de dollars de dégâts.

1970

Dans la première moitié de l’année, deux complots du FLQ sont découverts par la police à Montréal. Le premier visait à enlever le consul d’Israël, et l’autre, le consul américain. Puis, le 5 octobre 1970, James Richard Cross, attaché commercial de la Grande-Bretagne à Montréal, est enlevé à son domicile par quatre membres du FLQ.

Un appel anonyme à la station de radio CKLM mène à la découverte d’un communiqué du Front. L’organisation laisse 48 heures au gouvernement pour qu’il se conforme à ses sept exigences allant de la libération de 23 prisonniers politiques à 500 000 $ en lingots d’or en passant par la publication dans les journaux et la lecture à la radio et à la télé du Manifeste du FLQ.

Enlèvement d’un ministre

Le 10 octobre, après plusieurs jours de tensions et de rebondissements, dont la lecture du Manifeste du FLQ par une radio privée à une heure de grande écoute, le gouvernement refuse toute négociation. Quelques heures plus tard, le ministre québécois du Travail et de l’Immigration Pierre Laporte est enlevé chez lui par un autre sous-groupe du FLQ.

Le lendemain, un dimanche, le Québec est sous tension et vit au rythme de l’affaire. Cinq minutes avant la fin de l’ultimatum, Robert Bourassa, premier ministre du Québec annonce son intention de négocier avec le FLQ.

L’armée entre en jeux

Deux jours plus tard, à la demande des ministres fédéraux, l’armée s’installe sur la colline Parlementaire à Ottawa. Le premier ministre fédéral Pierre-Elliot Trudeau ne s’en inquiète pas, même s’il n’écarte pas l’idée de suspendre des droits civiques pour combattre les forces menaçant les représentants élus. « Just watch me », dit-il aux journalistes qui lui demandent s’il faut céder face aux FLQ.

Le lendemain, le gouvernement du Québec demande l’aide de l’armée canadienne. Plus de 8 000 soldats s’installent autour des édifices importants de la province. Ce soir-là, quelque 3 000 personnes participent à une assemblée au Centre Paul-Sauvé. Entre les discours, la foule scande FLQ ! FLQ !.

Le vendredi 16 octobre, à la demande du gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal, la Loi sur les mesures de guerre est proclamée par le gouvernement fédéral. Alors que la Déclaration canadienne des droits est suspendue, les arrestations vont pleuvoir : plus de 500 personnes seront emprisonnées sans mandat, et on effectuera 31 700 perquisitions, dont 4 600 avec saisie.

Les premiers ministres du Canada et du Québec, Pierre Eliott Trudeau (premier plan) et Robert Bourassa (tout à droite) au moment de la crise d’octobre 1970. Source : Bibliothèque et archives Canada – PA151863

Mort de Pierre Laporte

Le lendemain un communiqué est émis par le FLQ :« Face à l’arrogance du gouvernement fédéral et à son valet Bourassa, face à leur mauvaise foi, le FLQ a donc décidé de passer aux actes. Pierre Laporte, ministre du chômage et de l’assimilation, a été exécuté à 6h18 ce soir par la cellule Dieppe (Royal 22e). Vous trouverez le corps dans le coffre d’une Chevrolet verte (no 9J 2420) à la base de Saint-Hubert. Deuxième entrée. Nous vaincrons. »

Une enquête officielle conclura que le ministre à été étranglé avec une chaînette qu’il portait autour du cou. Aujourd’hui, il semble plutôt que sa mort soit accidentelle, suite à une tentative d’évasion. Mais Paul Rose, un membre du commando du FLQ a toujours assumé le meurtre de Pierre Laporte.

Fin de la crise

Le 3 décembre 1970, la police s’entend avec les ravisseurs de James Richard Cross, après de longues négociations. Les membres de la cellule Libération et leur famille reçoivent un sauf-conduit pour Cuba. Ils s’envolent vers 19h45. James Cross est finalement libéré, après 60 jours de détention.

Le 28 décembre 1970, Paul Rose, Jacques Rose, Francis Simard et Bernard Lortie, les kidnappeurs de Pierre Laporte, sont arrêtés. De janvier 1971 à la fin 1972, des bombes sont encore posées, des vols sont commis. Ces gestes sont revendiqués dans des communiqués du FLQ. Certains, cependant, sont l’œuvre d’agents infiltrateurs de la GRC. Mais le FLQ a perdu son combat, après la mort de Pierre Laporte, la population se distancie du mouvement.

Entre décembre 1978 et 1984, les exilés cubains rentreront au pays et, en septembre 1982, Paul Rose, reconnu coupable du ministre Pierre Laporte, est le dernier membre du FLQ à sortir de prison.

* La chronologie des événements de cette crise est tirée du récit du journaliste Mathieu Charlebois publié dans L’Actualité du 16 septembre 2010.


[1] Pierre Vallières, Éditions Parti Pris, 1968

2 octobre 2020

Élections américaines, une mort qui change tout.

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La mort, le 18 septembre 2020, de la juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg change considérablement la donne pour la prochaine élection présidentielle aux États-Unis. À moins de deux mois de l’échéance électorale, le président Trump et ses partisans tiennent absolument à lui élire un remplaçant. Le verdict final de cette élection pas comme les autres est peut-être en jeu.

Élue par Bill Clinton en 1993, Ruth Bader Ginsburg, RBG pour les intimes, était l’égérie des démocrates. Reconnue pour ses combats pour la cause des femmes, des minorités ou encore de l’environnement, elle était surtout capable, grâce à son grand pouvoir de conviction de rallier les deux juges conservateurs les plus modérés pour ainsi faire pencher la balance de son côté.

Le bâtiment de la Cour suprême. Source : Wikipédia

Deuxième femme nommée à cette instance, elle y aura finalement siégé durant 27 ans.  Elle aura dû également se battre contre de multiples cancers, quatre depuis les années 1990. « Nous sommes en deuil, mais nous avons bon espoir que les générations futures se souviendront de Ruth Bader Ginsburg comme nous l’avons connue — une défenseuse infatigable et inébranlable de la justice », déclarait le président de la Cour suprême. 

Le juge en chef de la Cour suprême des États-Unis, John G. Roberts, a également ajouté « que les États-Unis avaient perdu une juriste d’importance historique et respectée de ses collègues ». Même Donald Trump y a été de son éloge, parlant dans un communiqué d’« un esprit brillant dont les décisions, notamment sur les droits des femmes, ont enthousiasmé tous les Américains ».

Le « gouvernement des juges »

Mais si la mort, à 87 ans, de cette magistrate exceptionnelle était inéluctable et attendue, elle arrive à un très mauvais moment pour les progressistes américains. Il faut dire que la Cour suprême joue un rôle considérable dans la vie politique américaine. Ses pouvoirs sont si grands que certains n’ont pas hésité de dénoncer un « gouvernement des juges » à certaines époques.

C’est bien sûr de par la Constitution des États-Unis que la Cour suprême tire son pouvoir. À son article III, la Constitution établit le pouvoir judiciaire avec, tout en haut, la Cour suprême. Avec le temps, elle est devenue le pouvoir qui interprète ultimement cette constitution. « La Constitution est ce que la Cour suprême dit qu’elle est. » L’adage est communément admis depuis le début du XXe siècle.

En 1803, le président Thomas Jefferson avait bien tenté de s’élever contre ce pouvoir qui n’est pas explicitement fixé par la Constitution, mais que la Cour suprême s’est donné. « Un simple objet de cire dans les mains du pouvoir judiciaire », avait-il alors dit en parlant de la Constitution après une décision, arrêt Marbury contre Madison, où la cour se donnait le pouvoir de ne pas tenir compte des lois qui lui paraissaient anticonstitutionnelles.

Après plus de 200 ans d’histoire juridique, ce principe n’est plus en cause. En plus de ce pouvoir d’interprétation de la Constitution, la Cour suprême tranche aussi tous les litiges politiques importants. C’est ainsi que le 12 décembre 2000, son arrêt Bush contre Gore confirme l’élection de George W Bush à la présidence des États-Unis en rejetant la contestation d’Al Gore. La Floride a pu arrêter son recomptage.

Des nominations convoitées

Avec un tel pouvoir, la composition de ce collège de neuf juges (ils étaient sept jusqu’en 1869) revêt une importance essentielle. C’est le président des États-Unis qui nomme ces juges qui doivent être confirmés par le Sénat à la majorité absolue depuis 2017, avant il fallait une majorité qualifiée (3/5e). Ces juges sont nommés à vie et eux seuls décident de démissionner lorsqu’ils ne se sentent plus capables d’assumer leur charge.

Jusqu’à la mort de Ruth Bader Ginsburg, il était reconnu qu’il y avait quatre juges progressifs et cinq conservateurs. Parfois, RBG arrivait à convaincre les deux modérés des conservateurs à la suivre et pouvait ainsi faire pencher la balance. Ce ne sera plus le cas après la nomination d’un sixième juge conservateur. Donald Trump en a déjà nommé deux durant son mandat.

 C’est pourquoi le président actuel s’est empressé d’annoncer qu’il allait proposer très rapidement le nom d’une nouvelle juge et qu’il espérait que le Sénat confirmerait cette nomination dans un délai très court, avant l’élection présidentielle. Bien que lorsqu’une situation semblable s’était présentée à Barak Obama, le Sénat avait décidé en 2016 qu’il valait mieux attendre l’élection, il semble plus pressé cette fois.

Une décision qui peut décider de l’élection

Car cette nomination peut changer le sort de la prochaine élection présidentielle. En effet, il est fort probable, selon les sondages, que le démocrate Joe Biden l’emporte. Mais ce succès risque bien de ne pas être définitif le jour du vote, le mardi 3 novembre, car tous les bulletins du vote par correspondance ne seront pas rentrés.

Face à la pandémie qui ne faiblit pas, beaucoup d’Américains vont se tourner vers le vote par correspondance plutôt que de se déplacer directement aux urnes. Il faut savoir que les modalités du scrutin dépendent des États. Il n’y a pas d’uniformité à travers les États-Unis et Donald Trump a déjà dit qu’il ne faisait pas confiance à ce système.

De plus il est pratiquement sûr qu’on ne connaîtra pas les résultats durant la soirée électorale du 3 novembre, car tous les bulletins ne pourront être comptabilisés, car plus d’une vingtaine d’États ont décidé d’accepter les votes qui arriveront après cette date s’ils ont été postés à temps.

Comme Donald Trump a, en plus, déclaré le 24 septembre que le passage du pouvoir ne se passerait pas sans heurts en cas de défaite, il y a fort à parier que cette élection pourrait bien se jouer devant la Cour suprême. D’où l’importance du décès de la juge Ruth Bader Ginsburg…

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