Si la lutte suisse fait partie du patrimoine helvétique, une autre forme de lutte est inscrite dans les gênes québécoises. Je ne m’en doutais pas jusqu’à ce que ma blonde m’invite à une soirée qu’elle partageait avec d’anciennes collègues. J’ai donc eu l’occasion de découvrir un univers insoupçonné qui marque et a marqué des générations québécoises.
« Quand j’étais petit, le dimanche matin on s’installait devant la télé en famille. On ne manquait jamais la réunion de lutte à la télévision. » « Ah, ben chez nous aussi le rituel était immuable, j’adorais ça! » « Grâce à ton chum, je vais me sentir comme autrefois, j’adorais le commentateur, un Français… Carpentier qui s’appelait. »
Je suis surpris en attendant la discussion entre ma blonde et l’ami de sa collègue. Elle ne m’avait jamais raconté ces rendez-vous du dimanche. Je connaissais la soirée du hockey du samedi soir. Un incontournable des familles québécoises. Le hockey est le sport national du Québec, mais la lutte. Je suis étonné.
Tout commence dans les escaliers
« Il y a déjà du monde! » Le rendez-vous était à 19h devant la porte du Centre Horizon dans Limoilou, le quartier populaire de la basse-ville de Québec. Arrivé à moins dix, la file commence déjà sur le trottoir. Bizarrement, la lutte est ponctuelle, on sent un premier mouvement à l’heure fixée pour l’ouverture des portes.
La file ne commençait pas à l’entrée du centre. Il y avait du monde à l’intérieur déjà. Je découvre en entrant dans la bâtisse que la salle de la réunion du North Shore Pro Wrestling (NSPW), lutte professionnelle de la Côte-Nord en français, se tient au quatrième étage, juste au-dessus de la Société des Assoiffés de la Bible.
Le mélange est éclectique dans ces centres communautaires où la Société Saint-Vincent de Paul côtoie le club de boxe « Le Cogneur » au deuxième étage. Tout un programme qui permet de jaser en montant l’escalier et de surprendre quelques bribes de discussions entre habitués. La manifestation semble sérieuse et j’ai entendu des noms inconnus, mais qui semblaient faire l’admiration des spécialistes.
Un spectacle où le public participe
« Désolé, les chaises rouges sont pour les VIP. » Si j’avais anticipé, j’aurais utilisé ma carte de presse, ça fait toujours effet. Tant pis, nous trouvons une série de chaises dans la dernière rangée de la section quatre, juste devant le bar. Donc, première surprise, la salle est grande, organisée comme toute bonne réunion de boxe autour d’un ring surélevé.
Le temps de visiter le kiosque des marchandises, le stand des tee-shirts et autres babioles, d’acheter une bière et voilà qu’un homme qui détonne dans ce décor avec son costume noir, sa chemise blanche et son nœud papillon, prend le micro et annonce l’épreuve de préréunion avec l’école de lutte du coin.
Ça court, ça saute, ça s’évite, ça se baffe, mais pas trop fort, ça cogne pour faire illusion et ça réussit aussi quelques figures assez complexes en utilisant les cordages du ring. Assez pour chauffer le public. J’apprendrai plus tard qu’il y a 500 places maximum et presque toutes sont vendues. Notre pingouin reprend le micro et annonce une vedette locale dont j’ai oublié le nom.
Et là, surprise, le lutteur prend le micro et se met à parler, à parler, à parler. Assez pour que le public commence à lui répondre, à l’insulter. Je ne comprends pas grand-chose. Entre l’accent québécois et une sono qui sature, mes oreilles peinent. « On s’en câlisse, on s’en câlisse, on… », ça j’ai compris et le lutteur aussi, il pose le micro et son adversaire arrive.
Des professionnels qui en sont vraiment
Passons sur cette passe qui avait un niveau technique supérieur, les choses sérieuses commencent après une quinzaine de minutes de pause. Vingt heures viennent de sonner au clocher de l’église désaffectée voisine, enfin c’est ce que j’ai cru entendre, lorsque le premier combat entre Loue O’Farrel l’invincible détestée de tous affronte Emily Grimsky, la chouchoute du public qui malheureusement ne sera pas à la hauteur de la peste détestée.
Une chaleur moite envahit maintenant la salle. Ma blonde avait raison, nul besoin de mon manteau d’hiver, mon tee-shirt suffit. Sur le ring, les vedettes se succèdent. Travis Toxic écrase Dgenerate, Marko Estrada s’enferre dans des luttes avec des équipes sans que je ne comprenne trop ce qui se passe. Enfin, c’est la grande finale du Standing 30.
Je comprends le nom de la soirée, trente lutteurs vont s’affronter, le dernier qui restera sur le ring sera le grand vainqueur de la réunion. Tout commence à deux, puis chaque deux minutes environ, c’est un décompte de mémoire, un nouveau concurrent monte dans l’arène. Il faut passer par-dessus les cordes et finir au bas du ring pour être éliminé.
Au moment le plus chaud, je ne compte pas moins de douze lutteurs ou lutteuses, la partie est mixte sur le tapis. Mike Blanchard le Huron et Michel Plante le Québécois sont les héros de la foule, mais ils trépassent et au final, c’est Benjamin Tull qui restera le dernier. Je le savais, je l’avais dit dès le départ! Son tee-shirt se vendait 100$, alors que celui des autres 25$. Il y avait bien une raison.
Le Québec n’a pas fini de m’étonner.