Valais Libre

19 novembre 2021

Si la tendance se maintient…

Voilà, tout est dit dans les élections municipales québécoises. Quatre des cinq plus grandes villes seront dirigées par des femmes, mais c’est surtout celle qui n’a pas été élue à Québec qui a marqué la soirée de résultats. Annoncée élue à 20 h 30, elle sera battue à 23 h 00, mais entre temps, elle a prononcé son discours de victoire. Un malheureux cafouillage causé par une habitude bien québécoise.

« Si la tendance se maintient, j’annonce l’élection de… » Cette phrase qu’a popularisée Bernard Derome, ancien animateur du Téléjournal de Radio-Canada et commentateur des soirées électorales, est devenue un classique de la culture québécoise. Les deux chaînes concurrentes, Radio-Canada et TVA rivalisent de calculs pour être les premiers à faire cette annonce.

Bruno Marchand a triomphé à Québec après une soirée mouvementée. Source : Le Devoir

Le mystère Québec

Malheureusement, le soir des élections municipales, cette rivalité a causé une situation incroyable et des plus gênantes pour la candidate héritière de l’ancien maire de Québec Régis Labeaume. Les excuses de Radio-Canada ne changent rien à l’histoire, elle est inacceptable. Les algorithmes, même les plus sophistiqués, ne remplaceront jamais le jugement humain.

Tout analyste moindrement au courant de la politique municipale savait que le dépouillement des votes allait donner une avance à Mme Savard en début de soirée. Le décompte des votes par anticipation venant en premier, ils n’étaient pas influencés par la dernière semaine de campagne désastreuse de la candidate.

De plus, c’est bien connu au Québec que la Capitale nationale a toujours été un mystère pour les sondeurs. Dans chaque type d’élection, des surprises sont au rendez-vous. Les électeurs sont assez volatiles. Ils l’ont montré une fois de plus. Les chaînes de télévision n’ont donc aucune excuse.

Si Radio-Canada a commis la première bourde, TVA a suivi peu de temps après. Je suppute qu’ensuite, ils ont discrètement encouragé l’équipe donnée victorieuse a prendre la parole tôt. Ainsi, ensuite, ils pouvaient consacrer le reste de la soirée à Montréal. C’était bon pour leur audience.

Un Marchand innovant

Mais avant de vous parler de la capitale économique de la province, finissons-en avec la ville de Québec. À 22 h 40, Bruno Marchand prenait la tête de la course et au moment du dépouillement de la dernière boîte, il aura 834 voix d’avance et pourra prononcer son discours de victoire. Québec aura donc eu droit à deux mots gagnants.

Au-delà de ce qui deviendra rapidement une anecdote de campagne, un peu cruelle pour Mme Savard, j’en conviens, Bruno Marchand apparaît comme un maire encourageant pour sa ville. Parti de très loin dans les sondages, il a su proposer une véritable vision de ce qu’il voulait faire pour la cité.

Surtout, Bruno Marchand offre une nouvelle vitalité à la politique municipale. Élu à la tête d’un conseil où son parti, Québec Forte et Fière, est minoritaire, il s’est empressé d’ouvrir la porte aux autres partis. Certains de leurs membres pourraient faire partie du Conseil exécutif. Comme pour les autres étages politiques, au Canada, on élit le législatif et le gagnant choisit son exécutif parmi les élus.

Match retour à Montréal

Remontons maintenant un peu (300km) le Saint-Laurent pour analyser ce qu’il s’est passé dans la grande métropole francophone. Je vous ai parlé dans ma dernière chronique de l’homme de la situation, Valérie Plante qui est devenue, il y a quatre ans, la première mairesse de Montréal.

Elle avait causé la surprise en détrônant le maire sortant Denis Coderre. Ce politicien professionnel qui avait été député fédéral avant de gérer la capitale économique. Cette année, nous devions avoir un nouveau Coderre. Le match retour s’annonçait passionnant.

En début de campagne, l’expérimenté menait largement dans les sondages. Une fois de plus, sa campagne montra son vrai visage. Celui d’un homme arrogant, trop sûr de sa supériorité et peu à l’écoute de la population. De plus, il possède une tare presque insurmontable au Québec : des liens avec le monde des affaires.

Surtout, personne n’avait vraiment pris la mesure de l’adéquation de la politique de Valérie Plante avec les aspirations d’une majorité de ses concitoyens. « On peut gouverner Montréal avec le sourire. » Ce cri de la mairesse reconduite illustre parfaitement sa philosophie. À gauche et verte, elle assume sa vision et elle sait maintenant que la population la suit.

Le sourire de Valérie Plante règnera sur Montréal les quatre prochaines années. Source : Toronto Sun

Une ville heureuse et stable

Terminons par ma ville, Lévis. Le maire sortant a beaucoup de fierté à rappeler que sa ville est celle où il fait le plus bon vivre au Québec parmi les dix plus grandes villes de la province. En 2017, Gilles Lehouiller avait été élu avec 92 % des voix. Cette année, il est reconduit avec « seulement » 75 %. Passer d’un score soviétique à un score biélorusse, ce n’est pas si grave.

Par contre, son équipe n’aura pas réussi un nouveau grand schelem. Un des quinze arrondissements leur échappe. Mais pas de quoi changer l’avenir de la ville. Il y aura un opposant autour de la table, mais je parie que son influence sera aussi grande que celle de Navalny face à Poutine.

Non, je n’insinue pas que le maire de ma ville est un dictateur, mais je présume que rien ne va fondamentalement changer. On restera une ville heureuse où les affaires marchent bien. On gardera notre position de dernière ville du Québec pour les investissements en transport en commun. On poursuivra des économies de bout de chandelle sur le ramassage des ordures ou la propreté des rues. 

Bref, une administration qui sait prendre soin de l’argent de ses contribuables, c’est ce que veut la population. Enfin une minorité de la population, car c’est un autre enseignement de ces élections, elles n’ont mobilisé qu’un petit 40% des citoyens. Les affaires municipales, même si elles sont de proximité, n’intéressent que peu les Québécois.

12 novembre 2021

Élections municipales 2021

À l’heure où j’écris ces lignes, je m’apprête à aller voter pour la première fois aux élections municipales québécoises. Au moment où vous lirez ce texte, tout sera dit. Je vous livrerais les résultats et mes analyses dans ma prochaine lettre. Aujourd’hui, un petit mot sur l’organisation municipale au Québec, sur le mode électoral et sur quelques luttes à suivre suffira amplement.

Voulez-vous figurer sur les listes électorales fédérales, provinciales et municipales ? La question m’avait étonné lors de ma naturalisation, surtout qu’elle était découpée en trois parties. Je devais cocher pour chacun des niveaux. Vous devinez aisément ma réponse!

Un vote bien organisé

Je ne résiste pas à la tentation de vous partager ma première expérience électorale au Québec. C’était en septembre 2012 à l’occasion des élections provinciales qui avaient vu la victoire de la première femme premier ministre du Québec, Mme Pauline Marois. Je n’avais évidemment pas le droit de vote alors, mais je n’avais pas pu résister à la tentation de faire un tour dans le bureau de vote proche de mon domicile d’alors.

Voici ce que j’écrivais dans mon journal hebdomadaire : « Neuf heures trente précises, la porte de la salle civique de Saint-Jean-Chrysostome s’ouvre et Jonathan, le « primo », chef du bureau, nous invite à entrer. J’ai enfourché mon vélo en ce matin d’élection pour faire le tour du village. Je ne veux rien perdre. Mon instinct de politicien ressurgit.

Un passage à l’hôtel de ville pour m’informer des différents lieux et l’aventure commence. Je me sens parfaitement à l’aise dans mon habit de journaliste étranger. Observateur, ethnologue, sociologue, je joue tous les rôles, j’embrasse tous les «logues », mais surtout, je suis curieux.

L’organisation du vote est soignée, la salle respire la sérénité. Neuf bureaux numérotés attendent les citoyens qui ont reçu leur numéro par la poste quelques jours avant. Chaque bureau possède les listes d’environ 400 personnes. Trois personnes y assurent le bon fonctionnement: vérification de l’identité, présentation du bulletin et enregistrement du vote, chacun possède son rôle. Le matériel paraît, lui, un peu léger à mon regard helvétique : un carton sur une table en guise d’isoloir et un autre comme urne scellée. Ce matériel à usage unique est distribué par l’entremise du directeur des élections. »

Au Québec, on vote derrière un isoloir en carton. Source : Pierrot Métrailler

La municipalité, dernier étage 

Le Canada est une confédération, comme la Suisse. Elle compte trois étages organisationnels : le fédéral, le provincial (cantonal) et le municipal (communal). Si les deux premiers niveaux peuvent se comparer au niveau de l’organisation et des tâches, le municipal est plus fondamentalement le dernier étage au Canada. 

Contrairement à la Suisse qui est un système qui s’est fondé en remontant des assemblées de combourgeois à la diète fédérale en passant par les diètes cantonales, le Canada a toujours connu un système où le haut impose au bas, où les décisions venaient du sommet de la hiérarchie.

Encore aujourd’hui, les municipalités sont les parents pauvres du système politique, tout comme du système économique. Les ressources municipales proviennent quasi uniquement des taxes foncières, plus précisément des taxes sur les bâtiments. Ça commence à changer puisqu’elles ont le droit depuis peu à 1 point de TVA, mais le mouvement est très lent. Cette dépendance à la taxe foncière influe largement les politiques municipales. Malheureusement, souvent en mal, mais ce n’est pas le sujet ici. 

Organisation politique

Le système politique municipal découpe la ville en district, un par conseiller. Dans chacun des districts, le candidat qui obtient le plus de voix est élu. Chaque électeur n’a le droit de vote que dans un district. On vote aussi en même temps pour un maire sur l’ensemble de la ville. Le maire n’est pas élu d’abord comme conseiller comme en Suisse. S’il n’est pas élu maire, il ne siègera pas sauf si un candidat de son parti a été élu et qu’il lui cède la place. Ça arrive fréquemment.

Lévis où je réside est une ville de près de 150 000 habitants. Il y a 15 conseillers municipaux et un maire, Gilles Lehouiller. Il a été élu pour un deuxième mandat en 2017 avec près de 92 % des voix. Il faut dire qu’il n’avait qu’un adversaire de dernière minute. 

Son parti avait alors balayé tous les sièges. D’ailleurs, cette année, il demande à la population de reconduire son équipe dans tous les districts. Ça risque d’être plus difficile.

En effet, l’usure du pouvoir commence à se faire sentir. Le maire va se faire réélire, mais pas avec un score soviétique comme la dernière fois. Une opposition existe cette fois. Elle est divisée, mais un peu mieux organisée qu’il y a quatre ans. Sa propension à la dictature et au refus d’accepter les critiques risque de lui coûter quelques voix.

L’affiche de Valérie Plante candidate à la mairie de Montréal en 2017. Source : Pierrot Métrailler

Petit tour d’horizon

Si tout est réglé dans ma ville de Lévis, de l’autre côté du fleuve, à Québec, l’élection est plus passionnante. Le départ du maire Labeaume (voir la lettre québécoise du 14 mai 2021) a ouvert le jeu. On assiste à un match à cinq. Si sa dauphine, Mme Savard fait la course en tête, son premier opposant, M. Gosselin n’a pas dit son dernier mot et surtout un nouveau venu, M. Marchand pourrait causer une surprise. La lutte est passionnante.

Mais, la municipalité qui a le plus de poids, c’est évidemment la ville de Montréal. Il y a quatre ans, « L’homme de la situation », Valérie Plante, comme elle se présentait sur les affiches, avait causé toute une surprise en battant le maire sortant Denis Coderre et en devenant mairesse de Montréal. Match retour cette fois, le candidat Coderre revient dans la partie pour challenger la mairesse Plante. Suspense garanti.

Mais il y a environ 1 100 municipalités qui renouvellent leurs autorités. Certaines tacitement, d’autres dans des luttes plus ou moins fratricides et même une petite dizaine qui se retrouvent orphelines de candidats, tout est donc réuni pour une fin de semaine passionnante. Je vous livrerai les résultats dans ma prochaine lettre.

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