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Je reprends le titre du Devoir de mercredi dernier pour vous parler d’économie cette semaine. Si le résultat du premier tour des élections françaises entraîne un débat entre les tenants du protectionnisme et les défenseurs du libre-échange, en Amérique du Nord, cette question fait partie de la réalité. Après l’élection de Donald Trump, l’accord de libre-échange entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (ALÉNA) est remis sur la table.
« Au Canada, des choses très injustes se sont passées contre nos producteurs laitiers. Ce qui vous est arrivé est très, très injuste. C’est le genre d’accord typiquement partial, contre les États-Unis. Et ça ne durera pas. Nous allons appeler le Canada et lui demander : “Qu’est-ce qui se passe ?“ » Ces mots très durs ont été prononcés par le président Trump en visite au Wisconsin pour parler de son récent décret « Acheter américain; embaucher américain ».
« C’est une chose terrible qui est arrivée aux fermiers du Wisconsin », a-t-il insisté. Que fait donc le Canada de si affreux aux gentils producteurs des États-Unis ? C’est la politique de gestion de l’offre dans les produits laitiers que le président américain veut remettre en question. Il attaque aussi son voisin du nord sur d’autres sujets comme le bois d’oeuvre ou l’énergie, mais je vais détailler un peu la question du lait au Canada et au Québec en particulier.
Des quotas depuis longtemps
« La mise en marché du lait au Québec est régie par un système de contingentement de production – ou quota de production – qui est établi sur le plan de l’ensemble canadien.
En vertu de ce système, un producteur de lait doit posséder un permis pour chaque litre de lait qu’il vend aux usines. C’est un moyen d’éviter les surplus et les pénuries. Grâce à ces quotas, la quantité totale de lait produit au pays idéalement correspond à ce qui est consommé par les Canadiens. »
Cette explication tirée du site Internet du Conseil des industriels laitiers du Québec pose les bases du système qui régit la production laitière au Canada depuis près de 50 ans. Adapté chaque année, ce régime s’appuie sur trois piliers essentiels: établissement d’un prix cible de production, gestion de la production (Calcul des besoins canadiens et quota de production) et contrôle des importations de produits laitiers.
Un système défendu avec vigueur
Cette attaque américaine a entraîné un flot de réactions très émotives au Québec. « Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en Abitibi et dans le Bas-St-Laurent, ce serait un coup dur. Ici dans la région, je ne vois pas grand monde qui pourrait s’en tirer avec la fin de la gestion de l’offre », affirme Michel Frigon, propriétaire de la Ferme des fleurs d’Albanel et membre de l’exécutif des Producteurs laitiers du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Les associations professionnelles demandent au gouvernement de Justin Trudeau de défendre farouchement le système canadien.« Au niveau de l’agriculture, il n’y a pas un pays dans le monde qui n’appuie pas ses agriculteurs de différentes façons et l’approche qu’on a ici au Canada, elle est bonne pour le Canada, pour nos agriculteurs, et je vais continuer de défendre la gestion de l’offre », a d’abord réagi M. Trudeau.
Un avenir incertain
Mais de nombreux acteurs trouvent la réaction du premier ministre trop molle. Ils soupçonnent Justin Trudeau de vouloir abandonner une partie de la protection des producteurs de lait pour débloquer d’autres secteurs commerciaux. Certains remettent carrément en cause le système de la gestion de l’offre qui nuit, selon eux, à l’innovation et surtout qui oblige les consommateurs à payer ces produits à un coût injuste.
À mon arrivée au Québec, j’avais été surpris de voir que la viande était nettement moins chère qu’en Suisse, souvent plus de la moitié du prix suisse, mais que les produits laitiers avaient des prix comparables. J’ai mis du temps à comprendre pourquoi. Le protectionnisme a un prix, mais la pérennité d’une agriculture locale aussi. Les changements politiques, au-delà du spectacle, entraînent aussi des remises en question qui ont une influence directe sur la vie de tous les jours.