Valais Libre

29 Mai 2021

Vaccine-toi et tu seras sauvé !

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 7 h 30 min
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C’est devenu presque une injonction divine, le onzième commandement. Sans vaccination, point de salut. Même si c’est une grande messe mondiale, l’athée que je suis est obligé d’y souscrire. Oui, la sortie de la pandémie passe par la vaccination. J’en suis convaincu et, contrairement à certains, je n’ai pas eu besoin de cadeau pour me faire piquer.

La vaccination avance bien à travers le monde. Enfin, à travers le monde développé, car, une fois de plus et sans surprise, les différences entre nantis et précaires se font cruellement sentir. Mortellement sentir, ai-je envie de dire. Car, si le développement rapide d’un vaccin contre la Covid-19 est incontestablement une réussite pour l’humanité, sa diffusion est plus bassement commerciale, voire politique.

Le Centre des congrès de Lévis a été transformé en centre de vaccination. Ici la salle de surveillance. Source : Nouvelliste, Trois-Rivières

Une procédure clairement définie

Mais avant de philosopher sur la bassesse humaine, revenons à mon égoïsme, pour ne pas dire héroïsme, personnel. Deux jours après l’ouverture de la vaccination pour ma tranche d’âge, j’ai reçu ma première dose. Dit comme cela, tout paraît clair et limpide. Pourtant, dans les faits, ce fut un peu plus complexe.

Car, vous le savez maintenant, au Québec tout est planifié et souvent compliqué. La vaccination n’échappe pas à la règle, mais ici, je crois que ça se justifie. D’abord, il faut savoir que le Canada étant une confédération, les compétences se répartissent selon les différents niveaux. Au fédéral, la charge d’acheter les vaccins, au provincial, celle de piquer les bras. La santé est une compétence exclusive des provinces selon la Constitution.

Voilà pour le cadre. Ensuite, le Québec a décidé de vacciner en priorité les personnes en CHSLD (les résidences médicalisées publiques pour personnes âgées), puis les occupants des autres résidences pour aînés et enfin, après quelques priorités comme le personnel de santé, par tranches d’âge de cinq ans.

Une polémique, bien sûr

Bref, arrive un moment où une polémique devait éclater. Dans un régime politique majorité / minorité, c’est absolument nécessaire. Le système ne peut pas fonctionner sans cela. Mais ici, la polémique est venue d’ailleurs, d’Europe, et elle portait un nom barbare : AstraZeneca. Non, ce n’est pas le dernier modèle d’Opel, mais un vaccin qui pourrait tuer !

Eh oui, un risque de thrombose sur 100 000 injections pour certaines catégories de personnes. En Suisse, vous n’avez pas de soucis à avoir puisque ce vaccin n’est pas (encore) autorisé malgré la commande de 5,3 millions de doses. Je soupçonne que le vaccin de la firme anglo-suédoise paie un peu pour le Brexit et la gestion « autonome » de la crise par les autorités suédoises. L’Europe n’a pas aimé.

Bref, ici au Québec, il est autorisé et utilisé. Tout se passait bien jusqu’à ce que les échos de la polémique d’outre-Atlantique arrivent. Le scepticisme s’est installé et malgré la campagne rassurante du gouvernement, ce vaccin est devenu moins populaire. C’est alors que le gouvernement a décidé une nouvelle stratégie.

Pas le choix d’être responsable

Et, oh surprise ! Elle était basée sur la responsabilité individuelle. Un mot que je croyais tabou au Québec. Les volontaires de la tranche d’âge en dessous de celle visée alors par la campagne allaient pouvoir recevoir leur dose d’AstraZeneca en libre-service. Dans ma région, un grand centre était ouvert pour les 55 ans et plus.

9 jours après mon anniversaire, cette action commença. Je n’étais pas pressé, mais une intervention à la radio locale et une proposition de ma blonde plus tard, je n’avais plus vraiment le choix. Une visite planifiée chez mon médecin de famille le lendemain me laissa un sursis. Ma peur des aiguilles ne me sauva pas. « Cours-y ! » Telle a été la réponse de mon docteur alors que j’évoquais les risques liés au vaccin. « Tu n’es pas jeune et tu n’es pas une femme », conclut-il son injonction. 

Je n’avais plus le choix. Je me suis donc présenté à la porte du Centre des congrès de Lévis, transformé pour l’occasion en centre de vaccination, quelques minutes après l’ordre de mon thérapeute. Je n’avais que la route a traversé. Je ne pouvais pas manquer cette occasion de me montrer responsable.

J’ai eu ma piqûre

« Vous voyez là-bas ce tas de bois, vous devez aller chercher un coupon et revenir me voir. » La procédure est faite pour les voitures, nous sommes en Amérique du Nord. Je traverse donc à pied le grand stationnement (la place de la Planta pour vous donner une idée) où on me donne un beau coupon rouge où il est écrit « vaccination 14 h 00 ».

Il est 14 h 05. Je cours donc pour ne pas être trop en retard. Je tends le précieux sésame aux préposés qui venait de me faire traverser la place. Il me sourit, prend mon papier et me fait signe de suivre un parcours fléché… Ça valait bien la peine que je coure, il n’y a personne dans la file. Je ne savais pas que l’exercice physique était compris dans le processus.

Après, je dois avouer, j’ai été impressionné par l’organisation. Une cinquantaine de vaccins pouvaient être administrés en même temps. Il y avait du monde. De l’enregistrement à la sortie : 25 minutes, dont 15 de pause obligatoire sous surveillance. Parfois, l’organisation a du bon.

Une bière, un gâteau, des fleurs et même de l’argent, les États-Unis ne reculent devant rien pour encourager la vaccination. Source : AP

Rendez-vous dans 4 mois

Bon, maintenant, je dois patienter jusqu’au 30 juillet pour avoir ma deuxième dose, car le Québec a décidé d’espacer au maximum les deux doses pour immuniser, même partiellement, le plus grand nombre de monde. Cette stratégie n’est pas partagée par la Suisse. 

À chacun son style. Je n’aurai pas besoin d’une frite gratuite ou d’un bon d’achat pour aller me refaire piquer (en passant heureusement que l’infirmière m’a dit, je pique, je n’ai rien senti). Je laisse cela aux Américains qui ne sont jamais à court d’idées pour convaincre les plus démunis.

21 Mai 2021

À la défense du français en Amérique du Nord

Imaginez : 8 millions de francophones noyés dans un océan de 400 millions d’anglophones ! Difficile de résister, et pourtant, un îlot d’irréductibles tient bon. Ce village gaulois s’appelle le Québec. La langue française y est toujours bien présente. Aujourd’hui, le combat se renforce sur le plan politique, mais sera-ce suffisant ?

« Donc, 44 ans plus tard, un gouvernement nationaliste prend le relais du gouvernement Lévesque pour présenter une nouvelle loi 101. Puis je le dis en toute modestie, vous savez mon admiration pour René Lévesque », a déclaré le premier ministre du Québec, François Legault lors de la présentation de son projet de loi le 13 mai 2021.

Le premier ministre François Legault et le ministre responsable de la Langue française Simon Jolin-Barrette ont présenté le projet de Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français devant la presse le jeudi 13 mai dernier. Source : Photo La Presse Canadienne.

Un nouveau rempart

La Loi 101 est certainement la loi la plus connue au Québec où elles sont nommées par leur numéro d’apparition dans la législature. Normalement, ce code disparait après l’adoption de la loi, mais pas ici. Le nombre est symboliquement resté et tous les défenseurs de la langue française s’y réfèrent avec déférence.

Ça fait plus d’un an qu’on attendait le projet de la Coalition avenir Québec (CAQ). Le parti au pouvoir a tardé en expliquant que sa priorité était la crise sanitaire. Certains doutaient de la réelle envie de s’attaquer à la question linguistique, car elle met toujours la table à un affrontement avec le gouvernement fédéral d’Ottawa.

Les sceptiques ont été confondus. Le projet que vient de présenter le gouvernement québécois est à la hauteur des attentes d’une grande partie de la population du Québec. En résumé, il propose 5 mesures phares : la création d’un ministère de la langue française, la redéfinition du statut des villes bilingues, l’obligation de communiquer en français tant dans la fonction publique que dans les commerces, la limitation des études collégiales anglophones et la soumission des PME dès 25 employés à l’obligation de travailler en français.

Une longue lutte des Canadiens français

Tout cela peut vous paraitre bien étrange, mais il faut comprendre que la lutte pour le français a commencé dès 1760 lors de la conquête de la Nouvelle-France par les Anglais. Alors la France dominait l’Amérique, ses territoires s’étendaient de la vallée du Saint-Laurent à la vallée du Mississippi. Ce qui explique les restes de français à La Nouvelle-Orléans.

Mais sans la résistance linguistique des Canadiens français, la langue de Molière ne serait plus qu’un souvenir et son usage anecdotique en Amérique du Nord. La langue a survécu avec la religion catholique, grâce à la religion catholique devrais-je dire. Les prêtres ont été durant 200 ans le bras armé de ce combat.

Durant la deuxième moitié du 20esiècle, la région s’est déconfessionnalisée. Les Canadiens français sont devenus des Québécois. La lutte a changé de forme, elle est devenue politique. L’arrivée au pouvoir du Parti québécois de René Lévesque en 1976 a mis l’indépendance à l’agenda politique et la langue française est devenue un étendard.

La Charte de la langue française

« À Montmagny, où j’ai débuté ma carrière d’avocat, j’étais abasourdi de constater qu’autour de la table du club Le Bûcheron où je prenais régulièrement un verre après le travail, nous passions immédiatement du français à l’anglais lorsqu’un dirigeant d’une compagnie locale arrivait, même s’il maitrisait parfaitement notre langue et que tous autour de la table parlions français. » Me Guy Bertrand, l’avocat indépendantiste avec qui je travaille sur sa biographie depuis 4 ans me raconte souvent cette anecdote.

Les activités commerciales étaient alors complètement dominées par les anglophones et travailler en français n’existait que dans les « bas étages » de la hiérarchie. Pour changer les choses et la domination anglophone, le Parti québécois a pris le taureau par les cornes et a imposé la Charte de la langue française, le nom officiel de la Loi 101.

Obliger les immigrants à envoyer leurs enfants à l’école francophone, obliger les commerces à afficher en français, faire du français la langue commune partout, même dans les tribunaux : tout cela nous parait logique. Pas au Québec où les levées de boucliers ont été nombreuses.

En 1977, la Loi 101 a permis aux francophones de s’affirmer au Québec. Source : Archives du Soleil

La politique ne suffira pas

Au fil du temps, la Cour Suprême du Canada a invalidé plusieurs articles de la Charte. C’est pourquoi 44 ans après, le gouvernement québécois revient à la charge. Mais c’est surtout parce que depuis quelques années on sent l’effet de la lente érosion de l’usage du français au Québec. Tout particulièrement dans la région de Montréal.

La grande cité francophone, au 20esiècle on parlait de la 2eplus grande ville francophone après Paris, n’est plus vraiment « en amour » avec la langue française. Elle accueille de plus en plus ses hôtes avec un « Bonjour-Hi ». Un mélange qui fait polémique, mais ce n’est que le révélateur d’un mal bien plus profond : les jeunes n’aiment plus leur langue.

Enfin, quand je dis les jeunes, je généralise un peu trop. Une majorité ne vit presque plus qu’en anglais. La culture d’Amérique du Nord est essentiellement anglophone. Il existe certes quelques jeunes artistes qui défendent la langue, mais ils sont minoritaires. Ici, pour réussir, on ne monte pas à Paris, on joue à New York ou à Las Vegas comme la plus grande vedette québécoise : Céline Dion.

Le sport n’échappe pas à la règle. On parle anglais dans les vestiaires des sports professionnels et même dans ceux des ligues juniors majeures. Personne ne peut imaginer une carrière sportive sans parler en anglais (sauf peut-être à la pétanque). Face à cela, je ne pense pas que la politique suffise. Elle permettra de ralentir l’érosion et peut-être de prendre conscience de l’ampleur du péril.

14 Mai 2021

L’art de la sortie en politique

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Au début du mois de mai, le maire de Québec a annoncé qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat lors des élections municipales de novembre 2021. Après 14 ans passés à la tête de la Capitale nationale du Québec, son retrait est une surprise pour plusieurs. J’en fais partie, je dois l’avouer, mais cette décision me permet, après avoir évoqué quelques souvenirs, une réflexion sur l’art de la sortie en politique.

C’est le 5 mai 2021, jour pour jour 200 ans après la mort de Napoléon Ier que « Napoléon » Labeaume a surpris la population québécoise avec une conférence de presse émotive où il a divulgué son intention de se retirer de la politique en fin d’année. « Napoléon » c’est un surnom que lui ont donné quelques adversaires. Il y a même une page Facebook « Ici on jase Napoléon Labeaume » et les caricatures de Régis Labeaume avec le tricorne de Napoléon abondent.

Je suis certain que la date choisie pour cette annonce ne doit rien au hasard. L’évocation de la mort de l’empereur a dû bien amuser le maire de Québec. Car s’il est une qualité que personne ne peut enlever à Régis Labeaume, c’est l’humour. C’est dans ce contexte que je l’ai rencontré pour la première fois.

En 2010, pour une soirée de charité, le maire de Québec, Régis Labeaume, n’avait pas hésité à porter le costume de Napoléon. Comme clin d’œil à ses détracteurs, l’humour est toujours désarmant. Source : Le Soleil du 5 octobre 2010 – Photo : Charles Picard

Quelques souvenirs 

« Salut! Son entrée en matière est très valaisanne. Le tutoiement est immédiat et convivial. La discussion est courte, fraîche et amicale, il m’interroge sur mon accent et me souhaite un magnifique séjour en ses terres », voilà ce que j’écrivais le 20 avril 2012 sur mon blogue. Quelques mois après mon installation au Québec, je relatais ma première rencontre avec le maire de Québec.

Je ne pouvais pas manquer le Salon du livre de Québec et surtout pas la présence du maire. « Son face-à-face avec le caricaturiste André-Philippe Côté du journal du Soleil sera savoureux. Un homme public qui sait se moquer de lui-même est fondamentalement bon. » Je n’avais pas été déçu de ce premier contact.

Un peu plus de deux ans plus tard, en septembre 2014, j’aurai cette fois l’occasion de l’interviewé officiellement dans son bureau de Québec. Je faisais alors une pige pour Radio fréquence Jura (RFJ) à l’occasion de l’inauguration de la majestueuse horloge offerte par le canton du Jura à la ville de Québec pour son 400eanniversaire.

Le 400eanniversaire de la ville avait eu lieu en 2008 et le cadeau est arrivé en 2014… et après on s’étonne que les Suisses aient une réputation de lenteur ! « On n’avait pas de cadeau à l’époque, on a dû improviser », m’avait alors glissé à l’oreille Charles Juillard, le président du Conseil d’État jurassien au moment de cette inauguration.

Cette horloge qui scelle une présence suisse sur la place de l’Hôtel de Ville de Québec a une longue histoire, mais ce n’est pas mon sujet ici. Le maire Régis Labeaume a été presque unanimement salué à l’annonce de son départ et sur les dix ans que je l’ai suivi, je pense que c’est mérité.

Savoir sortir

Je n’aurais pas dit cela quelques jours avant son annonce. Je dois dire qu’il commençait à m’énerver avec son air bougon, ses sorties abruptes contre son opposition municipale ou contre tous ceux qui n’étaient pas de son avis. Je sentais le politicien usé. Il ne voulait pas dire s’il allait se représenter ou pas. Je devinais un schéma que j’ai trop souvent connu et qui immanquablement menait à la période de trop.

Heureusement que je n’ai pas misé une pièce (une piastre, comme on dit ici) sur sa décision de poursuivre, j’aurai perdu. Passé la première surprise et en allant relire ce que j’avais écrit sur lui, je dois m’incliner. Plusieurs éléments auraient pu me faire anticiper cette décision. En homme intelligent, il a su prendre le temps de prendre un peu de recul et de réfléchir.

Surtout, en homme passionné, il a su fixer des objectifs clairs avant son départ. Quelques jours après que son dernier grand projet fut définitivement arrimé, il tire sa révérence. « Je ne partirai pas avant que le tramway ne soit sur les rails », avait-il dit. Les appels d’offres partent ces jours. Québec aura son réseau de transport en commun structurant, le maire peut dire : mission accomplie.

« L’horloge monumentale réalisée en un seul exemplaire par Richard Mille a été offerte par la République et Canton du Jura, en Suisse, pour le 400e anniversaire de Québec. » – Source :  ville.quebec.qc.ca

Ne pas dépasser ses limites

Rien de pire en politique que ces personnages qui s’accrochent au pouvoir. Vous connaissez tous des exemples de la période de trop, de ces dernières années qui ne sont qu’une lente agonie politique. Je ne citerai personne en Valais, mais au Québec aussi la tendance est bien présente.

Les maires des villes « défusionnées » de Saint-Augustin et de L’Ancienne-Lorette en sont de bons exemples. Démission peu glorieuse pour l’un après un règne de 18 ans ou mort en fonction, mais en procédure de destitution pour l’autre après 37 ans de pouvoir. Peut-être que ces déchéances de proximité ont influencé le maire de Québec.

Pourtant, nul besoin d’en arriver à de telles extrémités pour sentir que « assez c’est assez ». La limite des mandats devrait faire partie intégrante de la réflexion politique et surtout de la réflexion personnelle du politicien. Il y a maintenant bien longtemps, nous nous étions penchés sur le sujet.

J’étais alors président des Jeunesses radicales valaisannes (JRV) et, avec mon comité, nous avons élaboré un document qui s’intitulait « Idées dans la nuit ». Nous n’avions pas peur que la tête nous enfle ! Dans ce projet, nous évoquions la question de la limitation des mandats. Nous proposions deux choses : des périodes de 6 ans et deux mandats maximums dans la même fonction.

25 ans plus tard, je pense toujours que l’idée est bonne. 6 ans permettent un travail à plus long terme avant d’être en période électorale qui, on le sait, n’est pas favorable aux solutions mesurées. Si après 12 ans à un poste, on n’a pas réalisé ce qu’on voulait au départ, on ne le fera pas après.

7 Mai 2021

Quelle image de la Suisse en Amérique du Nord ?

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 6 h 41 min
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La récente déclaration du président américain Joe Biden comme quoi la Suisse serait un paradis fiscal fait réfléchir. Dès mon arrivée au Québec, j’ai constaté un décalage entre l’image qu’on se fait de la Suisse en Suisse et en Amérique du Nord. Les clichés sont bien ancrés et difficiles à changer à des milliers de kilomètres. Ce qui se passe réellement en Suisse ne sort bien souvent pas des frontières.

Joe Biden lors de son discours devant le Congrès le 28 avril 2017. Source : AP Photo

« Beaucoup de pays font de l’évasion fiscale en utilisant des paradis fiscaux, de la Suisse aux Bermudes, en passant par les îles Caïmans. » Cette phrase lâchée par Joe Biden lors de son discours sur l’état de l’Union à l’occasion des 100 jours de son mandat le mercredi 28 avril dernier n’est pas très flatteuse pour la Suisse.

Une image stéréotypée

Je n’ai pas été surpris par ces quelques mots, car ils correspondent à mon expérience. Malgré les efforts de la Suisse en matière de transparence bancaire, notre pays garde une image sulfureuse. Banque suisse égale toujours dissimulation et évasion fiscale. Être soupçonné de posséder un compte en Suisse est une menace « mortelle » pour un politicien québécois.

C’est arrivé durant la campagne de 2014 au futur premier ministre du Québec. Heureusement, Philippe Couillard, contrairement au ministre français Jérôme Cahuzac qui venait de démissionner n’avait que des comptes sur l’île de Jersey. Ce petit paradis fiscal n’a pas l’impact de la Suisse et le politicien fut brillamment élu.

Cet épisode a confirmé ce que j’entendais auprès de mes amis. « On va donner ça à Pierrot, lui, il peut le placer en Suisse ! » Après une partie de curling, il n’était pas rare que j’entende cette phrase lancée par le vainqueur du « moitié-moitié ». La traditionnelle tombola qui permet de financer les groupements amicaux en organisant un tirage ou une personne gagne la moitié de la somme récoltée, l’autre allant à la caisse de l’association.

Une Suisse de cartes postales

« En Suisse, on reste toujours poli et on suit les règles. Les automobilistes s’arrêtent aux passages piétonniers pour laisser traverser les piétons, qui les remercient aussitôt d’un geste de la main. Parfois, la rectitude va un peu loin : un technicien de la troupe (salut, Renaud) s’est plaint à l’hôtel de s’être fait donner une chambre adaptée pour handicapés. La dame au comptoir ne l’a pas laissé finir sa phrase : « Personne à mobilité réduite, monsieur ».

Cet extrait d’un témoignage de l’actrice québécoise Catherine Dorion, devenue aujourd’hui députée à l’Assemblée nationale date d’avril 2017 alors qu’elle était en tournée en Suisse, illustre parfaitement l’image plus globale que les Québécois se font de la Suisse. Respect des règles, propreté, banques, montagnes, chocolat et coucous, sans oublier la neutralité : voilà les mots clés qui définissent notre pays.

Un drôle d’animal

De mon côté, j’ai eu un choc peu de temps après mon arrivée, lorsque j’ai entendu une conversation où André racontait comment il s’était débarrassé du Suisse qui squattait son jardin à coup de fer 4. Je n’avais plus très envie de l’accompagner sur le parcours de golf ! Mes autres compagnons sportifs à la vue de ma tête m’ont vite expliqué de quels Suisses il parlait.

« Au Québec, le tamia rayé est appelé « suisse » par allusion aux rayures des soldats du Vatican du XVIe siècle : Les « Écureuils suisses, sont de petits animaux comme de petits Rats. On les appelle Suisses, parce qu’ils ont sur le corps un poil rayé de noir & blanc, qui ressemble à un pourpoint de Suisse et que ces mêmes raies faisant un rond sur chaque cuisse ont beaucoup de rapport à la calotte d’un Suisse » (1703, Nouveaux voyages de M. le baron de Lahontan, t. 2, p. 43) »

Un petit tour sur Wikipédia m’a rassuré. Quelque temps plus tard, de passage dans le merveilleux parc des chutes d’Armagh, je découvris que « lorsque deux suisses se rencontrent, ils se saluent en se reniflant la face. Les suisses reconnaissent leurs frères et sœurs à leur odeur » (voir photo). Malheureusement, le Club suisse de Québec n’a pas adopté ce système de salutations.

Affiche présentant le « suisse » dans le Parc des chutes d’Armagh au Québec. Source : Pierrot Métrailler

Pas toujours simple pour les expatriés

Sans compter ces innombrables petits « Tic et Tac », c’est à ces personnages animés de mon enfance que me fait irrésistiblement penser celui qui habite sur ma terrasse, nous sommes environ 22 000 Suisses au Québec. Et, pour revenir à la question bancaire qui nous intéresse ici, nous pâtissons un peu de la mauvaise image de la Suisse dans ce domaine.

Mais pour nous, le problème vient plutôt de la Suisse. En effet, depuis la crise des fonds en déshérence de la fin du XXe siècle, puis de la crise financière de 2008 et des affaires des banques suisses avec la justice américaine, nous, les expatriés, ne sommes plus les bienvenus. De nombreuses entraves rendent difficile la possession d’un compte bancaire en Suisse.

« Désolé, mais je vais devoir annuler ton compte, la banque ne veut plus de clients avec une adresse en Amérique. Mais, je ne vis pas aux États-Unis, je vis au Canada. Pour nous, c’est pareil. » Je n’en croyais pas mes oreilles il y a quelques années, alors que de passage en Suisse, j’ai dû fermer mes comptes dans mes banques traditionnelles.

Aujourd’hui, seul PostFinance accepte encore de nous accueillir, mais à quel prix : 25 .- par mois de frais parce qu’on vit à l’étranger. Comme quoi, même si le conseiller fédéral Ueli Maurer « ne pense pas que ce soit la position du gouvernement (américain), mais là, les rédacteurs du discours ne connaissaient pas encore les véritables faits », au-delà des paroles de Joe Biden, la Suisse a un réel problème avec son passé bancaire.

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