Valais Libre

22 octobre 2021

Un semblant de retour à la vie d’avant

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 6 h 15 min
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Le début octobre donne le signal du départ de ma saison de curling. Cette année, encore plus que d’habitude, j’attendais ce moment avec impatience. Je n’ai pas été déçu. Retrouver des amis quittés brutalement il y a 18 mois a été réconfortant, mais surtout jouer « comme avant » procure un plaisir incroyable.

« Dis donc, la pandémie a l’air de t’avoir bien convenu! » J’ai entendu plusieurs fois cette remarque. Elle ne m’a pas trop fait plaisir au premier abord (oui, j’ai pris du poids, c’est la faute au vin et au fromage suisse), mais très vite j’ai repensé au ton impertinent des échanges du bar du curling.

Le Club de curling Etchemin a repris ses activités et ça fait du bien à tout le monde. Source : Pierrot Métrailler

Les amis retrouvés

Donc, rien de méchant dans cette remarque. Surtout une folle envie de reprendre les choses là où nous les avions laissées en mars 2020 quand tout s’est brutalement arrêté. Il y avait surtout le soulagement de pouvoir reprendre une saison. Nous n’osions pas trop y croire. La déception de l’automne 2020 où l’interdiction gouvernementale est tombée deux jours avant l’ouverture était encore trop présente dans nos esprits.

Mais cette fois, c’est vrai, on se retrouve et ça fait du bien. La compartimentation des relations caractéristique de l’Amérique du Nord, fait que pour la plupart, nous ne nous retrouvons qu’au curling. Il a bien sûr fallu un peu de temps pour prendre des nouvelles les uns des autres, mais très vite tout est redevenu comme avant.

Le plaisir de la glace

Ce sentiment de retour en arrière a été présent surtout sur la glace. Les directives gouvernementales nous permettent de jouer comme avant la pandémie. Pas de masque, une distanciation vite oubliée, des cris revenus, du brossage efficace, tout est pour le mieux. Sauf peut-être la précision du jeu, la saison blanche a fait perdre quelques habiletés.

Mais c’est très secondaire, en tout cas pour la première partie (que j’ai gagnée), un peu moins pour la deuxième (que j’ai perdue). Blague à part, durant deux heures, nous retrouvons la « vie d’avant ». C’est une sensation que je n’espérais par ressentir de si tôt. Comme quoi, tout peut aller très vite.

Le Valais a eu sa Foire de Martigny pour faire comme avant, au Québec, c’est plus compliqué. Les restrictions sont encore très présentes et la peur du Covid semble bien plus grande. Toutefois, dès qu’on a désinfecté les pierres en début de partie, toute cette angoisse semble s’envoler comme par magie.

Conditionné depuis longtemps

Cette magie me laisse à penser que la peur que je percevais bien plus forte ici au Québec qu’en Suisse, malgré la moitié moins de cas détectés, vient essentiellement des annonces gouvernementales. Au moment où j’écris ces lignes, tous les médias annonces un retour à la hausse des cas à travers la province : de 480 à 520 !

40 cas de plus et un veut créer un vent de panique. On le suscite chez certaines personnes plus influençables. C’est désolant. Dans le même temps en Suisse, on se félicite de passer enfin sous les 1 000 cas journaliers. Je rappelle que la Suisse et le Québec comptent un nombre d’habitants comparable.

La même stratégie fonctionne pour la vaccination. Alors que le Québec voit sa population de plus de 18 ans complètement vaccinée à 90%, la Suisse n’en est qu’a 71%. En revanche, si le Conseil fédéral prévoit lever les mesures sanitaires quand 80 % de la population sera vaccinée, le Québec qui prévoyait le faire au départ lorsque 75 % de sa population serait vaccinée, a monté ce chiffre à 95%. Sans oublier que la vaccination des enfants est encouragée après celle des adolescents. Le ministère de la santé du Québec étudie la vaccination dès 5 ans.

Même si ma glissade n’a pas encore retrouvé sa fluidité légendaire, simplement retrouver mes amis sportifs est des plus plaisants. Source : Pierrot Métrailler

Quels risques sommes-nous collectivement prêt à prendre?

La notion de risque zéro est très présente au Québec. C’est une grosse erreur selon moi. Il vaudrait mieux parler, comme un peu la philosophie suisse, de risque acceptable. Ce type de risque peut varier d’une société à l’autre. On peut en effet débattre démocratiquement du niveau de risque que collectivement nous voulons prendre.

Si le Parlement suisse peut débattre de ce sujet, il n’en est pas question au Québec. Très tôt dans cette pandémie, j’ai senti la volonté de voir disparaître ce virus pour relâcher la pression mise sur la population. Si l’idée de vouloir faire baisser la pression sur les hôpitaux pouvait se justifier en début de pandémie lorsque la Covid-19 était peu connue, pouvait se justifier, aujourd’hui, on n’en est plus là.

La multiplication des incohérences

La science que tous les gouvernements appellent en référence a fait d’énormes progrès. On en sait toujours plus, mais c’est comme si le Québec n’arrivait pas à les enregistrer. Si le masque apparaît aujourd’hui comme un outil essentiel pour lutter contre la propagation essentiellement aérienne du virus, on n’a aucunement allégé des mesures moins susceptibles de freiner la propagation : les journaux sont toujours interdits dans les cafés.

Au curling, on ne peut se déplacer sans masque dans la salle du bar ou on ne peut aller aux toilettes sans se couvrir le visage. Cependant, nous pouvons jouer librement sans masque sur la glace, parce que c’est du sport. Allez comprendre.

Il faut vraiment que je fasse du sport plus régulièrement. Non seulement, je vais maigrir, mais le virus ne m’attaquera pas puisqu’il néglige les sportifs!

15 octobre 2021

La question autochtone au cœur du débat social

Le Québec se déchire autour de la question de savoir s’il y a ou non du racisme systémique. Le drame des pensionnats autochtones est venu raviver cette polémique. Le premier ministre François Legault ne partage pas la définition proposée par des activistes de gauche et refuse de reconnaître qu’il y a du racisme systémique au Québec. Il préfère des actes plutôt que de la rhétorique culpabilisatrice. Ce n’est pas la première journée nationale de la vérité et de la réconciliation qui va arranger les choses.

« Relatif à un système dans son ensemble », voilà la définition de systémique, sortie du dictionnaire Petit Robert, que le premier ministre du Québec a lancé à la face de l’Assemblée nationale. « C’est une question factuelle : on ne peut pas prétendre que le système dans son ensemble est raciste. Ça voudrait dire que tous les dirigeants de tous les ministères ont une approche discriminatoire qui est propagée dans tous les réseaux », a-t-il poursuivi.

Un rapport dévastateur

Pourquoi est-ce que je vous parle de racisme systémique aujourd’hui? C’est parce que depuis quelque temps le Québec est secoué par cette question. Après la découverte de tombes anonymes d’enfants aux abords d’anciens pensionnats autochtones, c’est l’affaire Joyce Echaquan qui revient en force dans l’actualité.

Joyce Echaquan est morte il y a une année à l’hôpital de Joliette. Cette jeune mère de famille atikamekw a filmé avec son téléphone ses derniers instants où elle se faisait insulter par une infirmière. L’onde de choc a été violente. Le Québec a pris en pleine face le racisme qui existe dans certaines institutions.

« Une preuve réelle que le système a échoué. » Ces mots très durs ont été écrits par la coroner Ghéane Kamel qui a enquêté sur cette mort et qui vient de déposer son rapport. Après avoir analysé le fil des événements qui a amené à la mort de Joyce Echaquan le 28 septembre 2020, la coroner commence ses recommandations par demander au gouvernement du Québec de « reconnaître l’existence du racisme systémique » et de prendre « l’engagement de contribuer à son élimination ».

Joyce Echaquan s’est filmée avec son téléphone cellulaire et a lancé des appels à l’aide, en direct sur Facebook peu avant sa mort. Source : Facebook.com

La bataille des mots

« Bien que ça puisse être difficile à entendre, c’est un système empreint de préjugés et de biais qui a contribué à ne pas prendre la situation au sérieux. Le racisme systémique ne prétend pas que chaque individu qui compose ce système est raciste. Il évoque plutôt que le système […] contribue à banaliser et à marginaliser les communautés autochtones », a-t-elle poursuivi.

Dès la présentation de ce rapport, la pression a été intense sur le premier ministre du Québec pour qu’il reconnaisse l’existence de racisme systémique au Québec, ce qu’il a toujours refusé de faire. Les partis d’opposition se sont déchaînés à l’Assemblée nationale : Le Parti libéral et Québec solidaire pour fustiger le refus du gouvernement et le Parti québécois pour reprocher à la coroner d’avoir outrepassé son mandat.

Pour M. Legault, la conclusion de celle-ci est « très claire » : « il y a eu des préjugés, de la discrimination, du racisme à l’égard de Mme Echaquan », a-t-il énuméré. « C’est inacceptable et il faut s’assurer qu’on fasse tout notre possible pour que ça ne se reproduise jamais. » 

Du bout des lèvres il a reconnu que le système des pensionnats autochtones est toutefois un exemple clair de racisme systémique, puisqu’on a arraché des enfants à leurs parents. « C’était du racisme systémique qui était toléré par les autorités, c’est vraiment une période noire de notre histoire », a-t-il déclaré.

Une journée nationale pour les autochtones 

« Le 30 septembre 2021 marquera la toute première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.

Cette journée est l’occasion de rendre hommage aux enfants disparus et aux survivants des pensionnats, leurs familles et leurs communautés. La commémoration publique de l’histoire tragique et douloureuse des pensionnats et de leurs séquelles durables est un élément essentiel du processus de réconciliation. »

Cette description tirée du site officiel du Canada (canada.ca) illustre clairement la volonté du gouvernement fédéral d’entamer un processus que d’autres, l’Afrique du Sud ou l’Australie, ont également mis en place. Vérité et réconciliation, deux mots essentiels qui font aujourd’hui partie du débat social tant au Canada qu’au Québec.

Les ratés des premiers ministres 

Au Québec, le premier ministre François Legault a rejeté l’idée d’en faire un jour férié pour des raisons de « productivité ». Le 30 septembre, il s’est même permis une polémique politique durant son discours qui devait marquer cette première journée nationale. Au lendemain du dépôt du rapport de la coroner, il n’a pas supporté une sortie d’un député libéral qui criait que la preuve était faite que les Québécois étaient raciste.

Pas très fort pour une journée de réconciliation, mais ce n’est rien en comparaison du sommet atteint par le premier ministre du Canada. Mon « grand ami » Justin Trudeau, après avoir presque versé des larmes au Parlement lorsqu’il a édicté cette journée n’a rien trouvé de mieux que de profiter de ce jour férié pour les employés fédéraux pour prendre des vacances.

On l’a vu marcher sur la plage à Tofino en Colombie-Britannique où il s’accordait des vacances en famille dans la maison très luxueuse d’un de ces riches amis. Alors que des groupes autochtones lui reprochaient son manque de sensibilité, il a tweeté : « Aujourd’hui, j’ai parlé au téléphone avec des survivants de pensionnats de partout au pays, écouté leur histoire et obtenu leurs conseils sur le chemin à suivre. C’est par l’écoute et l’apprentissage qu’on pourra parcourir ce chemin et favoriser une vraie réconciliation ensemble. »

L’image de Justin Trudeau se baladant avec son épouse Sophie Grégoire sur la plage de Tofino lors de la première journée nationale de la vérité et de la réconciliation a fait polémique au Canada. Source : mcleans.ca

Je ne peux que reprendre un tweet d’un certain « Gaspi » qui lui répondait très poliment : « Aujourd’hui encore une belle démonstration de votre hypocrisie, de belles paroles pendant les élections, suivie du retour de votre égoïsme. Vous êtes une honte pour ce pays, même pas la décence d’être présent pour cette journée. Un vrai clown. »

Ce n’est pas la reconnaissance d’avoir fait une erreur quelques jours plus tard qui changera le jugement sur ce premier ministre. Au-delà de sa petite personne, c’est l’illustration que la question autochtone est loin d’être résolue au Canada.

8 octobre 2021

De retour à la maison

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 13 h 07 min
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Me voilà de retour à la maison. Cette lettre est à nouveau une vraie lettre québécoise. Après six semaines passées en Suisse, j’ai retrouvé mes repères et j’ai envie de vous parler de mes impressions, de mes ressentis. Je vais laisser de côté la politique et les questions sociétales.

Plus de deux ans sans retrouver mes terres natales ont changé mon rapport au Valais. Je ne pensais pas le dire un jour, mais je n’étais plus vraiment chez moi lors de ce séjour. Attention, ne m’interprétez pas mal. J’ai été excellemment bien accueilli. Ma famille, et au premier chef ma sœur, mes amis ont tout fait pour rendre mon séjour agréable.

Ma rue à Lévis où j’ai trouvé un nouveau chez-moi. Source : Pierrot Métrailler

Un chez-soi qui s’éloigne

Et il l’a été. J’ai retrouvé les miens et ça m’a réchauffé le cœur. J’ai rencontré beaucoup d’amis et j’ai passé des moments sympathiques, conviviaux et réconfortants. Ce n’est pas de cela que je veux parler. De ce côté-là, rien n’a changé. Non, c’est moi qui ai changé, mon regard sur le Valais, mon ressenti en respirant l’air du Vieux-Pays, ont évolué.

Il faudrait que je parle avec d’autres migrants pour mieux comprendre cette transformation, pour voir si, eux aussi, ont ressenti un moment où le « chez-soi » change. Je serai toujours Saviésan beaucoup, Évolénard un peu et Valaisan du fond du cœur, mais le Québécois prend de plus en plus de place.

Et pourtant tellement proche

Après presque dix ans d’exil volontaire, vous me direz que c’est normal. Sûrement, pourtant, je ne m’attendais pas à ressentir un tel sentiment. Je l’ai dit à plusieurs personnes rencontrées, « quand je parle de chez moi, maintenant, c’est Lévis au Québec. » Après coup, je trouvais cette phrase très dure. Surtout, que depuis mon départ, je ne me suis jamais senti si proche du Valais.

Vous devez penser que je radote. Loin, proche, le pauvre Pierrot ne sait plus ce qu’il dit. C’est qu’il faut séparer les émotions et l’intellect. Je viens de vous parler de mes émotions, de mon ressenti. Pour ce qui est de mon intellect, il n’a jamais été aussi valaisan depuis mon départ.

Car certains le savent, depuis quelques mois, je travaille pour l’autre grand journal du Valais romand. La pandémie nous amène sur des chemins improbables et surtout difficilement imaginables. Devant la perte de mes emplois québécois, j’ai dû chercher plus large. J’ai croisé la route du Nouvelliste et je travaille à l’édition depuis le Québec. Le décalage horaire fait que mes collègues travaillent le soir et moi le jour.

Un monde qui a changé

Après quelques mois de pandémie, on se demandait si tout allait revenir comme avant. Nous avons la réponse : même si on le voulait, on ne retrouvera pas exactement notre vie d’avant. Pour moi, et je m’en tiendrais là aujourd’hui, l’horizon s’est agrandi. Vivre au Québec tout en travaillant en Valais est une réalité.

La technologie efface les kilomètres et même s’il y aura encore des résistances, la preuve qu’on peut travailler efficacement à distance est aujourd’hui faite. Ça mettra un peu de temps, mais un nouveau paradigme va permettre de dissocier lieu de travail et lieu des forces de travail. Je crois qu’on ne mesure pas encore bien le bouleversement que ce nouvel état va engendrer dans les années à venir.

Une évolution positive

Ce changement et bien d’autres qui vont émerger suite à la crise sanitaire que nous traversons pourra être un mieux ou un pire selon ce que les hommes en feront. Je suis convaincu qu’on en tirera du mieux. Il y a de petits signes qui me poussent à cet optimisme. J’en tire un de mon expérience lors de ce voyage.

Arrivé en Suisse vers la mi-août, je venais d’un pays où le pass sanitaire faisait partie du paysage depuis quelque temps alors qu’en Suisse il n’était demandé que pour les grandes manifestations. Vacciné deux fois (AstaZeneca & Moderna), j’ai pu entrer au pays sans heurts. Pourtant, le Valais m’a refusé le certificat, car il ne reconnaissait pas l’AstraZeneca. J’ai dû recevoir une troisième dose de Moderna pour aller voir le FC Sion battre Lugano. (Peut-être que les joueurs devraient faire comme moi s’ils veulent à nouveau gagner !)

Ma blonde m’a rejoint quelques semaines plus tard. Elle qui était vaccinée deux fois avec l’AstraZeneca a obtenu sans problème le certificat valaisan. C’est qu’entre temps, le pass sanitaire a été demandé à plus large échelle et que les autorités se sont rendu compte qu’une unification des directives était nécessaire.

Wilson, mon corgi royal qui m’a patiemment attendu. Source : Pierrot Métrailler

Il va falloir d’adapter

Oui, je pourrais crier au scandale, hurler à l’atteinte à mon intégrité, maugréer sur les inepties bureaucratiques. Ça ne servirait à rien, surtout que je trouve cette évolution plutôt positive. Je trouve même que c’est assez remarquable qu’en quelques semaines, la Suisse ait su s’adapter. 

Je connais un autre pays, où malgré l’obligation de la double vaccination pour y entrer, on demande en plus un test PCR négatif de moins de 72 heures. Heureusement que des laboratoires valaisans travaillent le samedi pour permettre de voyager le lundi. La capacité d’adaptation du Canada est très loin de la réactivité suisse.

C’est une autre grande leçon qu’il faudra tirer de cette crise planétaire. Comparer les réponses des différentes entités, comparer l’état de préparation des réseaux de santé, comparer l’efficience des systèmes de gouvernement, comparer, comparer… Et au bout des études, la Suisse pourra arrêter de « chialer », car elle sera assurément tout en haut des classements.

Je voulais vous parler de moi, de mon expérience, de mon ressenti et je finis par revenir à ma passion de la chose publique. On ne se refait pas, même si mon chez-moi évolue.

1 octobre 2021

L’art de l’inutile porté à son maximum

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 0 h 51 min
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Le verdict des élections canadiennes est tombé. Justin Trudeau est réélu à la tête d’un gouvernement minoritaire. Il pourra continuer de gouverner avec le Nouveau parti démocrate (NPD). La gauche est à nouveau au pouvoir à mon grand désarroi vous vous en doutez bien.

« Le glamour de la marque Trudeau est fini. L’homme est maintenant perçu pour ce qu’il a toujours été : un être médiocre, opportuniste et superficiel. » Le verdict de Joseph Facal, chroniqueur au Journal de Québec et de Montréal, est sans appel. Il illustre parfaitement l’échec du pari du premier ministre canadien.

La Chambre des Communes à Ottawa. Source : Le Devoir

Une élection pour rien.

Lors de la 43e législature, la Chambre des communes avait la composition suivante: 157 PLQ* – 121 PCC – 32 BQ – 24 NPD – 3 Verts – 1 divers. Après les élections du 20 septembre, la 44e législature aura la composition suivante : 159 PLQ – 119 PCC – 33 BQ – 25 NPD – 2 Verts.

La différence est infime et si on compare la différence des voix, on est encore plus proche : PLQ -0,5% – PCC -0,6% – BQ +0,1% – NPD +1,8% – Vert -4,3%… « Tout ça pour ça! » titrait le Journal de Québec au lendemain des élections. On ne peut qu’être d’accord avec ce constat. Plus de 600 millions de dollars dépensés en pleine pandémie pour rien.

Le pari perdu de Justin Trudeau

« Je ne vois pas quelqu’un faire la fine bouche parce qu’il a reçu un mandat minoritaire ou majoritaire », déclarait Pablo Rodriguez le leader parlementaire des libéraux au soir des élections. Malgré cette pseudo satisfaction, personne n’est dupe, le premier ministre a perdu son pari.

Il voulait surfer sur sa bonne gestion de la vaccination (le fédéral n’avait qu’à s’assurer d’acheminer assez de vaccins aux provinces qui devaient gérer toute la logistique) pour avoir un gouvernement majoritaire et redevenir le chef incontesté du pays. L’ancien prof acceptait mal de partager la scène.

Son échec est patent et ne tardera pas à le rattraper. Pas sûr que son parti le laissera tranquille très longtemps. Il a la chance de voir les autres chefs de partis dans des difficultés comparables voire plus difficiles.

Le cynisme porté à son comble

Les libéraux auront finalement bénéficié de la reprise de la pandémie. Les questions sanitaires auront occupé une grande place dans la campagne. Du sommet de sa tour centrale d’Ottawa, le premier ministre a pu prendre les provinces de haut et leur donner des leçons de gestion. Quand on n’est pas responsable d’un dossier, c’est facile de critiquer ceux qui ont les deux mains dans le cambouis.

Personne n’a fait allusion aux multiples scandales qui ont émaillé le parcours du sémillant premier ministre si aimé à l’étranger. Son achat d’un pipeline, sa maltraitance de la minorité francophone, ses copains libéraux actionnaires des nouvelles compagnies productrices de cannabis, sans oublier son intrusion dans des processus judiciaires.

La liste serait interminable, mais personne n’en a parlé à cause d’un virus salvateur. Pourtant, quelques jours après ces élections, le gouvernement a annoncé avec fierté qu’un accord avait été trouvé avec la firme SNC Lavallin pour qu’elle échappe au processus judiciaire. Ses pressions sur l’ancienne ministre de la Justice avaient créé un scandale. Au lendemain des élections l’affaire est résolue dans l’indifférence.

Et maintenant ?

Combien de temps durera cette législature minoritaire? Tout le monde espère plus que 18 mois. « Je vous ai entendus. Ça ne vous tente plus qu’on parle de politique ou d’élections, vous voulez qu’on se concentre sur le travail qu’on a à faire pour vous. » Ces mots prononcés par Justin Trudeau dans son discours de victoire méritent d’être gardés en mémoire.

Il demandait à avoir « les deux mains sur le volant » pour reprendre une expression bien connue au Québec. Il n’a reçu qu’une confirmation de la situation d’avant. Il doit maintenant descendre de son nuage et commencer à travailler pour aider son pays qui est plus divisé que jamais. 

Il doit proposer une voie qui puisse faire consensus entre les provinces centrales qui comptent sur l’industrie pétrolière pour prospérer et le reste du pays qui veut une transition énergétique rapide. Il doit écouter les provinces qui veulent garder leurs compétences et oublier la folie centralisatrice issue de son père.

La fin du jeune premier

Le 4 novembre 2015, le monde découvrait le nouveau premier ministre du Canada. Un beau jeune homme qui tranchait avec la vision conservatrice de son prédécesseur Steven Harper. Six mois après Emmanuel Macron, le monde découvrait un nouveau leader qui allait révolutionner l’univers.

Six ans plus tard, que reste-t-il de ses espoirs ? Une libéralisation du cannabis qui risque bien de rester la seule grande réalisation du jeune prodige. À moins que ça ne soit sa déclaration comme quoi le Canada était le premier état postnational où toutes les nationalités se trouvaient à égalité et où toutes les manières de vie devraient se valoir ?

La famille Trudeau le soir des élections. Source : Radio-Canada

Un système de luttes internes

« Un être médiocre, opportuniste et superficiel ». Les mots de Joseph Facal sonnent de plus en plus juste. Je rejoins aisément cette analyse et je pense que son avenir va très vite être chahuté par des luttes internes. Car, quand le chef est affaibli, les successeurs se pressent pour prendre sa place.

Le système politique « britannique » veut ces luttes intestines. Le pouvoir du chef de parti est tellement absolu que dès qu’il montre des signes de faiblesse, les jeunes loups sont prêts à dévorer le chef de meute. Chez les conservateurs, le processus est déjà en marche et le pauvre Erin O’Toole aura beaucoup de difficulté à survivre.

La démocratie suisse peut se réjouir de la moindre personnalisation du pouvoir. Certes, quelques conseillers fédéraux sont mis en vedette, mais le système demande la collégialité et surtout le système politique suisse impose la discussion et la recherche de consensus. C’est infiniment mieux qu’une démocratie qui encourage la « dictature ».

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