Encore une fois, l’idée de caisse maladie unique refait surface en Suisse. Après les échecs fédéraux, c’est au niveau cantonal que certains veulent maintenant porter le combat. Je profite de cette occasion pour vous partager mon expérience d’un monde sanitaire où l’étatisation est reine. Au Québec, il faut être fou ou un « extraterrestre » venu d’un autre monde pour imaginer que le salut sanitaire ne passe pas par l’état.
Ce « marronnier » de la politique suisse occupe à nouveau les esprits. Pour les non-initiés, un marronnier est, en journalisme, un sujet ne faible importance qui revient régulièrement pour meubler les périodes creuses. Certains réfuteront fortement le qualificatif « de faible importance », mais je m’explique : pour évaluer une politique de santé, le financement est secondaire, l’essentiel est la qualité des soins.
Le financement, juste un moyen
C’est là-dessus que devraient se porter les énergies. D’ailleurs, quand on regarde les comparaisons internationales, l’OCDE n’évoque le mode de financement qu’en termes de part publique ou privée. La manière de collecter importe peu. Car, c’est le total des investissements en santé qui est pris en compte et il s’exprime souvent en pourcentage du PIB.
Pour la Suisse, c’est autour de 12 %, un des taux les plus élevés de l’OCDE. Seuls les États-Unis investissent plus avec 17 % du PIB. Le Canada avec 11 % est en haut de la fourchette moyenne qui se situe entre 9 et 11 % pour la plupart des pays. La Turquie investit le moins parmi les 32 membres de l’OCDE avec un peu plus de 4 %. (Tous ces chiffres sont arrondis selon les données 2018)
Au Québec, nulle tragi-comédie automnale autour du dévoilement de la hausse des primes d’assurance maladie. Il n’y en a pas. L’État finance la santé directement en puisant dans son budget régulier. La prime maladie fait donc partie des impôts. Intéressant pour un indépendant comme moi aux faibles revenus, mais moins drôle pour ma blonde qui, comme enseignante, voit son salaire diminué de 50 % au moment de sa feuille de paie.
L’important ce sont les ressources à disposition
On peut donc se questionner sur la part que chacun doit payer pour financer le système, mais ça n’a pas d’incidence sur la finalité de toute politique de santé : les soins fournis à la population. Car c’est tout ce qui compte : en a-t-on pour son argent ?
Ici encore, quelques chiffres permettent de se faire une idée. Avec l’argent investi, la Suisse s’offre 4,3 médecins en exercice pour 1 000 habitants (OCDE 2018), bien plus que le Canada (2,8) et plus que les États-Unis (2,6). Seules, la Lituanie (4,8), la Norvège (4,9) et l’Autriche (5,2) en ont plus.
En ce qui concerne les lits d’hôpitaux, la Suisse en dispose de 4,6 pour 1 000 habitants (OCDE 2018), bien plus que le Canada (2,5), ou les États-Unis (2,9), mais moins que la France (5,9), mais surtout que le Japon (13). Si ce nombre de lits peut s’expliquer par des choix politiques, le personnel infirmier en exercice est certainement un meilleur indicateur du rendement de l’investissement. La Suisse avec 17,6 infirmiers pour 1 000 habitants (OCDE 2018) arrive en deuxième position juste derrière la Norvège (18), mais bien mieux que les États-Unis (11,9), la France (10,8) ou le Canada (9,9).
La Covid-19, un révélateur
Finalement, c’est en temps de crise que la politique hospitalière passe le véritable test d’efficacité. 2020 a donc été une année révélatrice. On est obligé de constater que le système suisse ne s’en sort pas trop mal. Malgré les vagues successives, il n’a jamais été débordé. Il a vacillé, mais a tenu bon. Si je compare avec ce qui s’est passé au Québec, l’image est éloquente.
Pour une population comparable et pour un investissement en santé comparable (Le Québec investit un peu plus que la moyenne canadienne en % du PIB, donc à peu près 12 % comme la Suisse), les mesures prises pour contrer la Covid-19 ont été bien moindres en Suisse qu’au Québec alors qu’il y avait plus de cas.
Cette différence qui a une grande incidence économique est due en partie parce que les hôpitaux et le personnel de santé étaient nettement plus saturés au Québec qu’en Suisse. Pendant qu’il y avait 1 200 personnes hospitalisées à cause de la Covid-19 au Québec vers la fin 2020, il y en avait presque le double en Suisse… et c’est au Québec que le système était le plus saturé et que le délestage était le plus fort.
La centralisation est un fléau.
Le tout à l’État voulu par le Québec est incontestablement moins efficace que la décentralisation suisse. Pour la même population, un système centralisé contre 26 systèmes cantonaux : la partie fut inégale. Alors que les messages ne se rendaient pas du ministre aux établissements de soin au Québec, en Suisse, les partenaires pouvaient se parler directement.
Certes, la coordination est plus difficile à 26, surtout avec les sensibilités différentes, mais elle est assurément plus efficace qu’une centralisation où une bureaucratie récalcitrante, des syndicats tatillons, sans oublier de multiples « petits chefs » jaloux de leurs prérogatives ont rendu la tâche impossible.
Cet exemple récent d’une flotte sanitaire face à une tempête virale nous montre qu’un capitaine unique n’est pas garant de réussite. Alors mettre toute son énergie pour vouloir centraliser la perception des primes est une chimère qui, même si elle advenait, n’apporterait rien de bon et surtout n’amènerait ni plus d’argent ni plus d’efficacité au système de soins.