Valais Libre

26 février 2021

La centralisation ne fonctionne pas dans le monde de la santé

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 7 h 51 min
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Encore une fois, l’idée de caisse maladie unique refait surface en Suisse. Après les échecs fédéraux, c’est au niveau cantonal que certains veulent maintenant porter le combat. Je profite de cette occasion pour vous partager mon expérience d’un monde sanitaire où l’étatisation est reine. Au Québec, il faut être fou ou un « extraterrestre » venu d’un autre monde pour imaginer que le salut sanitaire ne passe pas par l’état.

Malgré ces imperfections de départ, l’hôpital de Rennaz illustre que, même décentralisé, un système de santé sait s’adapter aux besoins de la population. Source : RTS.

Ce « marronnier » de la politique suisse occupe à nouveau les esprits. Pour les non-initiés, un marronnier est, en journalisme, un sujet ne faible importance qui revient régulièrement pour meubler les périodes creuses. Certains réfuteront fortement le qualificatif « de faible importance », mais je m’explique : pour évaluer une politique de santé, le financement est secondaire, l’essentiel est la qualité des soins.

Le financement, juste un moyen

C’est là-dessus que devraient se porter les énergies. D’ailleurs, quand on regarde les comparaisons internationales, l’OCDE n’évoque le mode de financement qu’en termes de part publique ou privée. La manière de collecter importe peu. Car, c’est le total des investissements en santé qui est pris en compte et il s’exprime souvent en pourcentage du PIB.

Pour la Suisse, c’est autour de 12 %, un des taux les plus élevés de l’OCDE. Seuls les États-Unis investissent plus avec 17 % du PIB. Le Canada avec 11 % est en haut de la fourchette moyenne qui se situe entre 9 et 11 % pour la plupart des pays. La Turquie investit le moins parmi les 32 membres de l’OCDE avec un peu plus de 4 %. (Tous ces chiffres sont arrondis selon les données 2018)

Au Québec, nulle tragi-comédie automnale autour du dévoilement de la hausse des primes d’assurance maladie. Il n’y en a pas. L’État finance la santé directement en puisant dans son budget régulier. La prime maladie fait donc partie des impôts. Intéressant pour un indépendant comme moi aux faibles revenus, mais moins drôle pour ma blonde qui, comme enseignante, voit son salaire diminué de 50 % au moment de sa feuille de paie.

L’important ce sont les ressources à disposition

On peut donc se questionner sur la part que chacun doit payer pour financer le système, mais ça n’a pas d’incidence sur la finalité de toute politique de santé : les soins fournis à la population. Car c’est tout ce qui compte : en a-t-on pour son argent ? 

Ici encore, quelques chiffres permettent de se faire une idée. Avec l’argent investi, la Suisse s’offre 4,3 médecins en exercice pour 1 000 habitants (OCDE 2018), bien plus que le Canada (2,8) et plus que les États-Unis (2,6). Seules, la Lituanie (4,8), la Norvège (4,9) et l’Autriche (5,2) en ont plus.

En ce qui concerne les lits d’hôpitaux, la Suisse en dispose de 4,6 pour 1 000 habitants (OCDE 2018), bien plus que le Canada (2,5), ou les États-Unis (2,9), mais moins que la France (5,9), mais surtout que le Japon (13). Si ce nombre de lits peut s’expliquer par des choix politiques, le personnel infirmier en exercice est certainement un meilleur indicateur du rendement de l’investissement. La Suisse avec 17,6 infirmiers pour 1 000 habitants (OCDE 2018) arrive en deuxième position juste derrière la Norvège (18), mais bien mieux que les États-Unis (11,9), la France (10,8) ou le Canada (9,9).

La Covid-19, un révélateur

Finalement, c’est en temps de crise que la politique hospitalière passe le véritable test d’efficacité. 2020 a donc été une année révélatrice. On est obligé de constater que le système suisse ne s’en sort pas trop mal. Malgré les vagues successives, il n’a jamais été débordé. Il a vacillé, mais a tenu bon. Si je compare avec ce qui s’est passé au Québec, l’image est éloquente.

Pour une population comparable et pour un investissement en santé comparable (Le Québec investit un peu plus que la moyenne canadienne en % du PIB, donc à peu près 12 % comme la Suisse), les mesures prises pour contrer la Covid-19 ont été bien moindres en Suisse qu’au Québec alors qu’il y avait plus de cas.

Cette différence qui a une grande incidence économique est due en partie parce que les hôpitaux et le personnel de santé étaient nettement plus saturés au Québec qu’en Suisse. Pendant qu’il y avait 1 200 personnes hospitalisées à cause de la Covid-19 au Québec vers la fin 2020, il y en avait presque le double en Suisse… et c’est au Québec que le système était le plus saturé et que le délestage était le plus fort.

La centralisation est un fléau.

Le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, a parfois bien du mal à se faire entendre par l’ensemble de son réseau. Source : Le Devoir – Photo: Ryan Remiorz La Presse canadienne

Le tout à l’État voulu par le Québec est incontestablement moins efficace que la décentralisation suisse. Pour la même population, un système centralisé contre 26 systèmes cantonaux : la partie fut inégale. Alors que les messages ne se rendaient pas du ministre aux établissements de soin au Québec, en Suisse, les partenaires pouvaient se parler directement.

Certes, la coordination est plus difficile à 26, surtout avec les sensibilités différentes, mais elle est assurément plus efficace qu’une centralisation où une bureaucratie récalcitrante, des syndicats tatillons, sans oublier de multiples « petits chefs » jaloux de leurs prérogatives ont rendu la tâche impossible.

Cet exemple récent d’une flotte sanitaire face à une tempête virale nous montre qu’un capitaine unique n’est pas garant de réussite. Alors mettre toute son énergie pour vouloir centraliser la perception des primes est une chimère qui, même si elle advenait, n’apporterait rien de bon et surtout n’amènerait ni plus d’argent ni plus d’efficacité au système de soins.

19 février 2021

Quand le sport devient business !

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 16 h 52 min
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Pendant que l’Europe du football est sous le choc d’un contrat de 555 millions d’euros pour Lionel Messi, l’Amérique du Nord jongle allègrement, régulièrement et sans vague avec des sommes astronomiques. Le tout récent Super Bowl LV avec la somptueuse victoire d’un des sportifs les plus marquants de l’histoire universelle du sport est le symbole du sport business.

Le président du FC Barcelone, Josep Maria Bartomeu, était aux côtés de Lionel Messi pour la signature du contrat. Source : La Presse – Photo AFP/Fournie par le FC Barcelone

« Le plus récent contrat de Lionel Messi avec le FC Barcelone serait d’une valeur de 555 millions d’euros (860 M$ CA) pour quatre saisons, a indiqué El Mundo. » Ce mot lu dernièrement dans La Presse me pousse à vous parler de sport cette semaine.

La légende Tom Brady

En Amérique du Nord, le sport est aussi une affaire de personnalités. Ce sont elles qui font les histoires qui attirent le public essentiellement devant les écrans de télévision. Ainsi, nous étions près de 100 millions à admirer la victoire légendaire de Tom Brady et de son équipe des Buccaneers de Tampa Bay au Superbowl LV (le 55e) le 7 février dernier.

Si je parle de légende, c’est parce que le quart-arrière de 43 ans fêtait la conquête de son septième trophée Lombardi qui récompense les vainqueurs de la saison de football américain, l’un des quatre sports majeurs en Amérique du Nord. Il a plus de victoires que les équipes les plus titrées (Nouvelle-Angleterre et Pittsburgh, 6 victoires), d’ailleurs, ses 6 premières victoires, il les a gagnées avec les Patriotes de la Nouvelle-Angleterre.

Le sport est un business

La possibilité de cet exploit unique dans les annales sportives a mobilisé les foules. En Amérique du Nord, le sport est organisé pour rendre possible ce genre d’histoire. Tout est fait pour créer de telles dramaturgies. Le vétéran Brady était opposé en finale aux vainqueurs de l’année dernière, les Chiefs de Kansas City mené par le jeune (25 ans) Patrick Mahomes qui est vu par les commentateurs comme son successeur potentiel comme meilleur quart-arrière de la ligue.

Et le football américain ne fait pas différemment des autres sports majeurs. Que ce soient le baseball, le basketball ou le hockey sur glace, chaque organisation s’appuie sur des scénarios et des rivalités qui mettent en scène des histoires construites pour river les supporters devant leurs écrans.

Des franchises commerciales

Car c’est la télévision qui fait vivre le sport. Toutes les ligues des sports majeures sont organisées autour de franchises commerciales. Les équipes appartiennent à de riches propriétaires qui sont eux-mêmes les actionnaires de leurs ligues respectives. Ainsi la Ligue nationale de football (LNF-NLF en anglais), la Ligue nationale de basketball (LNB-NBA), la Ligue majeure de baseball (LMB-MBL) ou la Ligue nationale de hockey (LNH-NHL) sont des compagnies commerciales.

Chaque franchise vaut aujourd’hui une fortune. On estime à près de 500 millions de dollars la mise minimum pour avoir une équipe de hockey. C’est pourtant la ligue la plus abordable actuellement et l’argent ne suffit pas, encore faut-il une expansion ou une franchise à vendre. Québec qui a construit un stade au coût de 400 millions de dollars et qui attend une occasion d’acquérir une franchise (le propriétaire potentiel est prêt à débourser les 500 millions) depuis cinq ans en sait quelque chose !

Un calendrier pour le spectacle

Car pour assurer le spectacle, les commissaires de chacune des ligues qui sont un peu les directeurs commerciaux avec des pouvoirs hégémoniques veillent à ce que les franchises soient rentables. Pour se faire, ils répartissent les équipes dans des villes choisies stratégiquement et mettent en avant des rivalités historiques.

Nul calendrier avec des matchs allers/retours comme nous le connaissons en Europe. Non, en Amérique du Nord, le spectacle prime. Ainsi, en football par exemple, 32 équipes sont réparties en deux conférences subdivisées en quatre associations d’où sortiront 14 équipes pour les séries (12 jusqu’en 2020) : les huit vainqueurs d’associations et les trois meilleures viennent ensuite des deux conférences.

Chaque équipe dispute 17 matchs, 6 (3 allers/retours) contre ses adversaires directs de l’association et 11 autres contre des équipes choisies par la Ligue selon le classement de la saison précédente (les meilleurs contre les meilleurs et donc les moins bons contre les moins bons). Spectacle assuré, mais moins d’équité sportive. Et c’est pareil dans toutes les ligues : priorité à la dramaturgie de la saison.

L’affiche du Super Bowl LV : Tom Brady et le Buccaneers de Tampa Bay contre Patrick Mahomes et les Chiefs de Kansas City. Source : http://www.marca.com

Une affaire qui marche

Et les affaires marchent. Tout le monde trouve son intérêt en général. Si par malheur, comme ça arrive en hockey, certaines équipes ont plus de peine à boucler le budget (dur de vendre du hockey sur glace dans le désert de l’Arizona), une péréquation est là pour aider les plus faibles. Tout est fait pour garantir une compétition acharnée.

Les joueurs y trouvent aussi leur compte. Ils ont droit à la moitié des bénéfices. Ainsi chaque équipe est obligée de dépenser un certain budget pour les salaires. La masse salariale de chaque équipe se situe obligatoirement entre un minimum et un maximum fixé par un accord entre la ligue et l’association des joueurs: d’où des salaires très élevés. Plus la ligue est populaire et rentable, plus les joueurs sont gagnants.

Et pour garder toutes les équipes dans la compétition, en plus des plafonds salariaux qui empêchent les riches de dépenser plus que de raison, il y a le mécanisme du repêchage. À la fin de chaque saison, les équipes choisissent parmi les jeunes talents ceux qui viendront les renforcer dans l’ordre inverse du classement. La moins bonne équipe choisit en premier, puis après que toutes aient fait leur premier choix, on recommence dans le même ordre et ainsi de suite jusqu’à épuisement des choix.

Tout se passe dans la transparence. Tant au niveau du choix des joueurs que des salaires. Point de contrats cachés comme pour Messi. En Amérique du Nord, le sport est un business et c’est pleinement assumé.

12 février 2021

Dodo, tout simplement merci !

Dans la mythologie grecque, Prométhée vola le feu aux Dieux pour le donner aux hommes. Pour se venger, Zeus ordonna à Vulcain de créer une femme faite de terre et d’eau. Elle reçut des Dieux de nombreux dons : beauté, flatterie, amabilité, adresse, grâce, intelligence, mais aussi l’art de la tromperie et de la séduction. Ils lui donnèrent le nom de Pandore, qui en grec signifie « doté de tous les dons ». Elle fut ensuite envoyée chez Prométhée. Épiméthée, le frère de celui-ci, se laissa séduire et finit par l’épouser. Le jour de leur mariage, on remit à Pandore une jarre dans laquelle se trouvaient tous les maux de l’humanité. On lui interdit de l’ouvrir. Par curiosité, elle ne respecta pas la condition et tous les maux s’évadèrent pour se répandre sur la Terre. Seule l’espérance resta au fond du récipient, ne permettant donc même pas aux hommes de supporter les malheurs qui s’abattaient sur eux. C’est à partir de ce mythe qu’est née l’expression « boîte de Pandore », qui symbolise la cause d’une catastrophe.

Affiche du PRDVS de la campagne pour les élections fédérales 1991 – Source : Archives du Confédéré

La « boîte de Pandore »

Je ne peux m’empêcher de vous offrir l’histoire complète, parce que mon premier souvenir d’Adolphe Ribordy c’est cette « boîte de Pandore ». C’était à l’automne 1991, caissier des jeunesses radicales valaisannes, les JRV, comme on disait à l’époque, je suivais assidûment la campagne aux élections fédérales. Pour la première fois, une liste des jeunesses radicales était apparentée à la liste des « grands ».

Dans la Renault 5 de ma petite sœur Sonia, pavoisées d’affiches de la JRV, nous sillonnions alors tous le Valais romand. Les soirées se succédaient et monsieur Ribordy, qui n’allait pas tarder à devenir Dodo, était candidat au Conseil des États. Je n’ai plus en mémoire les thèmes développés durant cette campagne, mais « la boîte de Pandore » survenait chaque soir. Après les parties officielles, le secrétaire candidat nous parlait longuement de ce mythe et de bien d’autres choses.

Monsieur le Secrétaire

Mon apprentissage politique, comme celui de beaucoup de membres des JRV s’est fait lors de ces moments privilégiés. J’ai découvert alors pourquoi mon père admirait tant les auteurs du Printemps du Valais. Je n’ai pas tardé à croiser à nouveau la route d’Adolphe Ribordy. Deux ans plus tard, tout jeune député-suppléant, j’ai côtoyé monsieur le Secrétaire du groupe PRDVS au Grand conseil.

Dès l’année suivante, j’ai eu la chance de vivre les séances du comité du Parti radical valaisan (PRDVS) en tant que président des jeunesses radicales. Dodo y était une référence. Il faut dire que les débats atteignaient des niveaux très élevés, même s’ils étaient souvent vifs. Pensez: la présidente Cilette Cretton devait régulièrement arbitrer les joutes entre nos deux conseillers nationaux Bernard Comby et Pascal Couchepin, sans oublier le sel ajouté par notre conseiller d’État Serge Sierro. Dodo, discrètement, savait faire des synthèses consensuelles et rappeler les fondements de notre engagement.

Maître de stage

Je n’imaginais pas en quittant pour une première fois la politique en 2001 que je n’allais pas tarder à retrouver sur ma route professionnelle Adolphe Ribordy. En 2006, lorsque j’ai été engagé comme secrétaire du PRDVS, j’allais occuper un bureau au siège du Confédéré à la rue des Grands-Vergers à Martigny. Je pénétrais dans l’antre de Dodo. Avant même que je ne commence mon mi-temps au parti, il m’avait engagé pour l’autre mi-temps comme journaliste stagiaire.

Dodo a été mon maître de stage durant deux ans au Confédéré. Il m’a appris le métier de journaliste. J’ai des larmes plein les yeux en repensant à cette époque bénie. À 40 ans, je retrouvais les sensations de l’étudiant. Ma soif d’apprendre a été largement assouvie. Il m’a tout montré, tout appris. Je le vois encore me défendre face à Éliane Baillif, la directrice du Centre romand de formation des journalistes qui ne voulait pas que je passe les examens parce que politicien et journaliste ça ne se pouvait pas !

Le journaliste

Je suis journaliste aujourd’hui. Vous devinez donc qui a eu les meilleurs arguments. Car Dodo savait argumenter. Posément, calmement, avec des faits, avec des principes, en s’appuyant sur l’histoire, il déployait ses ailes et l’on s’inclinait. Il savait aussi écouter, se modérer. Je garde en mémoire une affaire d’affiche avec Oskar Freysinger où, en tant que rédacteur en chef, il a pleinement assumé ses responsabilités.

Adolphe Ribordy entouré de ses amis et collègues de la presse écrite le 3 octobre 2011 sur le stand du Confédéré de la Foire du Valais à l’occasion du colloque marquant les 150 ans du Confédéré – Source : Archives du Confédéré

Je suis admiratif. Tous ceux qui sont entrés dans le bureau de Dodo aux Grands-Vergers ont l’image d’une masse infinie de documents. « Aurais-tu des infos sur la BCV en 1997 ? » Je le vois encore se lever, faire le tour de la grande table qu’on ne devinait pas sous les papiers. Retenir une pile d’une main et sortir un dossier du milieu : « Voilà le rapport annuel ! »

Il avait la mémoire… et cette mémoire s’est pleinement épanouie durant les préparations du 150e anniversaire de son Confédéré. J’en étais alors le rédacteur en chef, mais il en était l’âme. J’y ai découvert aussi l’homme de culture. Avec Robert Giroud et d’autres, Dodo a su réussir l’impossible. Éditer trois livres pour perpétuer la mémoire du journal, c’est bien, mais réussir à surmonter toutes les barrières pour numériser tous les Confédérés depuis sa fondation en 1861 est absolument sensationnel.

Dodo était un pionnier. Il avait souvent une idée d’avance sur son temps. Il restera pour moi mon maître en formation politique et journalistique. Il restera surtout un grand privilège que j’ai eu dans ma vie : celui de côtoyer un homme de conviction, un homme de grande culture, un homme sur qui j’ai pu compter.

Dodo, tout simplement merci !

5 février 2021

L’école québécoise face à ses contradictions

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 8 h 23 min
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L’école du Québec fut un modèle pour l’enseignant valaisan que je fus. Malheureusement, aujourd’hui alors que j’ai la chance de vivre le système de l’intérieur, je déchante. Corporatisme, reproduction sociale, égalité désenchantée ou encore sélection à outrance, les maux me paraissent profonds et la pandémie n’arrange rien.

Enseignant à l’école primaire de Savièse de 1986 à 2006, j’ai vécu pleinement ces deux décennies d’enseignement en Valais. Durant les dix dernières années de ma carrière pédagogique, j’ai multiplié les formations continues. J’ai eu l’occasion de découvrir de multiples programmes venus ou inspirés du Québec. Je ne savais pas alors que quelques années plus tard je vivrais dans cette belle région.

Les autobus jaunes sont un des symboles de l’école québécoise. Source : Le Devoir

Une école de la reproduction

C’est en préparant ma licence en Sciences de l’éducation que j’ai découvert quelques théories du sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002) et plus particulièrement la notion de violence symbolique qui ferait en sorte que, entre autres, l’école soit une institution de reproduction sociale. L’école québécoise me paraissait à cette époque comme l’opposé de l’école française qui utilisait massivement cette violence symbolique pour figer les éléments de la société.

Sans faire une recherche scientifique, il me semble qu’aujourd’hui encore l’école au Québec comme en Suisse fait en sorte que les enfants nés dans des familles éduquées ont plus de chance de faire des études que les autres.

Pas toujours, bien sûr, mais la reproduction sociale est encore bien présente malgré bien des efforts et bien des politiques publiques. Cette lutte pour plus de brassage de classes que je croyais gagnée il y a vingt ans semble être arrivée à un plafond de verre. 

Un corporatisme trop présent

Une deuxième contradiction de l’école québécoise provient de son corporatisme exacerbé. Je voyais cette école comme une école ouverte, dynamique, tournée vers l’épanouissement des jeunes. Elle l’est en théorie, mais elle est écrasée par une organisation qui, telle une araignée, tisse sa toile pour paralyser toutes les initiatives qui sortent des sentiers battus.

Le Ministère et ses Centres de services scolaires font face aux syndicats. De cet affrontement surgit un immobilisme difficile à mettre en mouvement. Les uns protègent leur pouvoir, les autres leurs acquis. L’élève est bien souvent trop seul et oublié entre les deux: très présent dans les discours, mais gênant sur le terrain.

Quant à l’accès à la profession, n’en parlons pas, car le sujet est fâchant. Au Québec, les études menant à l’enseignement sont ouvertes avec la cote R (voir plus loin dans le texte) la plus basse à l’exception des études en cinéma… Par contre, si l’on vient d’ailleurs, il est presque impossible d’avoir une reconnaissance sans refaire presque tout son parcours de formation au Québec. Du corporatisme de haut niveau, mais qui n’est pas réservé qu’aux enseignants, toutes les professions connaissent ça.

Une égalité étouffante

Car, rien ne peut se faire sans que ce soit généralisé pour tout le territoire et pour tous les élèves. Sous prétexte d’égalité, on efface toutes les aspérités créatrices qui pourraient déranger l’ordre établi. Je noircis un peu le tableau, mais à peine.

Quelques remplacements dans des écoles secondaires depuis le mois de novembre, me font nuancer ce jugement trop définitif. Heureusement, des enseignants merveilleux et engagés font une réelle différence. Mais, ils le font discrètement, pour ne pas dire honteusement, afin de ne pas trop bousculer leurs hiérarchies : celle de l’autorité ministérielle et celle des syndicats. On ne peut quand même pas demander à tout le monde d’être performant, même si la grande majorité l’est !

Ce nivellement par le bas qui résulte de l’absolue égalité pénalise autant les jeunes que les enseignants. Pourquoi la diversité qui est un leitmotiv des revendications québécoises fait-elle si peur ? Je pense que la réponse est à trouver dans la rivalité entre le ministère et les syndicats qui ne savent pas collaborer pour le bien des jeunes.

Le Québec projette la construction de nouvelles écoles plus lumineuses, plus spacieuses, nées d’une réflexion originale : Lab-École. Source : Gouvernement du Québec

La cote R, symbole de sélectivité

La compétition, la sélection, le classement : tous des mots honnis lors de mes formations continues du début du millénaire. Quelles que soient les matières où les sujets, la compétition était la dernière chose à faire. Je faisais des concours de calcul oral en classe : quelle horreur !

L’école de la sélection n’était qu’un outil de cette violence symbolique que nous devions fuir à tout prix. Seules la coopération et la co-construction des compétences devaient occuper nos esprits de profs. Le Québec faisait office d’Eldorado rêvé dans mon esprit d’enseignant en transformation.

Tout ça pour découvrir la cote R, la trop célèbre cote R que tous les cégépiens (équivalent du collège) du Québec envient ou redoutent selon leurs résultats. Cette cote ouvre ou ferme la porte à la plupart des formations universitaires. Pour faire simple, elle dépend non seulement des résultats absolus de l’élève, mais aussi de la moyenne de classe.

En résumé, je suis invité à collaborer avec mes camarades, mais je dois mieux réussir que les autres de ma classe si je veux avoir une chance de me distinguer avec une cote R qui valorise ceux qui font mieux que la moyenne de leur classe. 

Quand on veut tout et son contraire, on aboutit bien trop souvent à des situations aberrantes, mais rien d’inquiétant, car comme le répète le ministre de l’Éducation «  l’éducation est LA priorité du gouvernement », mais comme elle est aussi LA priorité des syndicats, tout va bien dans le meilleur des mondes. Et pendant ce temps, des centaines de profs décrochent, comme titrait le Journal de Québec du 29 janvier dernier et 30 % des élèves du secondaire sont en échec en cette année de pandémie…

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