Valais Libre

31 mars 2023

Harry de Sussex, dit le Suppléant

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 5 h 14 min
Tags: , , , ,

Voilà, j’ai lu pour vous Le Suppléant. Oui, l’autobiographie du deuxième fils de la princesse Diana. J’ai avalé, pour ne pas dire dévoré les 537 pages de la version française du livre qui a fait trembler la monarchie anglaise. Je n’avais pas vraiment le choix. Moi, sujet de Sa Majesté le Roi Charles III, j’ai promis allégeance à cette famille.

« J’ai levé les yeux vers les arbres. Tu ne sais pas! 

Harold… Je t’assure que non. 

Je me suis tourné vers papa. Son regard disait : Moi non plus. 

Ça alors ai-je pensé. Peut-être qu’ils ne savent réellement pas. 

C’était sidérant. Mais c’était peut-être vrai. (…)

Alors voilà :

Papa? Willy?

Tout le monde?

Je vais vous expliquer. »

Un besoin d’expliquer sa vie

Ce court extrait tiré du préambule de l’ouvrage qui reprend une conversation qu’ont eue les deux fils et leur père juste avant l’enterrement du prince Philip est le point de départ de cette autobiographie. Harry, le suppléant, a quitté le giron royal. Pour lui tout est clair, mais il se rend compte que ce n’est pas le cas pour les autres. Le demi-millier de pages qui vont suivre se veulent une explication.

Contrairement à ce que j’ai lu un peu partout, je le trouve convaincant. Je le trouve même sensible et humble. Tout le contraire de ce qu’en a bien voulu dire la presse en général et la presse people anglaise en particulier. Alors je ne sais pas si c’est la sincérité du prince ou le talent de l’auteur qui réussit ce tout de force, mais j’ai apprécié ma lecture.

Né pour s’effacer

Arrivé au monde deux ans après son frère, Harry est condamné, comme son grand-père à rester toujours un pas en arrière. Immédiatement, il a conscience que son rôle passe toujours derrière son grand frère William. Son frère à une grande chambre côté jardin, lui une petite discrète à l’arrière. Et il le dit avec candeur, tout cela lui paraissait normal.

Parce qu’il n’était que le Suppléant et son frère l’Héritier. Ce sont les termes utilisés par le personnel de la cour. Harry l’accepte, car il connaît son rôle, il connaît l’histoire de sa famille, il connaît la hiérarchie royale. Si son frère disparaît avant de procréer, il montera dans la hiérarchie, sinon il ne fera que descendre l’échelle du pouvoir.

Ce funeste 31 août 1997

« Ils ont tout essayé mon cher enfant. Elle ne s’en est pas sortie, j’en ai bien peur. » C’est par ces deux phrases, deux flèches mortelles que la vie du prince Harry va basculer à jamais. Son enfance se termine à 13 ans. Sa mère, la princesse Diana trouve la mort dans un accident de la route à Paris. Les paparazzis prennent le contrôle de sa vie.

Le cœur des explications du Suppléant se trouve là. Dans le comportement abject de ces chasseurs d’images qui sont au centre du drame. Ils sont partout, ils mitraillent sans arrêt. Lorsque ce n’est pas eux, ce sont leurs confrères de plume qui savent ou qui inventent l’histoire de cette famille publique. Partout et toujours leurs ombres planent sur le récit. La vie d’Harry est une course pour échapper à la presse. Il ne trouve de répits que momentanément en Afrique, en Afghanistan ou au Canada. Mais, jamais pour longtemps.

Une vie publique pour nourrir la bête

Sexe, drogue, alcool, rien ne résiste au journaux anglais. Quelles soient vraies, presque vraies ou totalement inventées, ces histoires ne supportent qu’une seule réponse : le silence. Le service des communications de la couronne l’exige, ne jamais répondre, ne jamais réagir. Malgré cela tout est mis sur la place publique. Les obligations protocolaires, c’est normal. Les incartades privées, c’est le sel.

Tout au long de la lecture, la souffrance induite par cette peur permanente de la photo scandale, du récit dévastateur. Qu’on fasse ou ne fasse pas quelque chose n’influence que peu, la presse a besoin de scoop. Elle les a sous toutes les conditions. Elle monte les services de Charles contre ceux de ses fils, ceux de William contre ceux d’Harry. Tout en haut de la hiérarchie, les employés de la reine qui se donnent tous les pouvoirs et qui sont incontestables.

La presse people tire sur la monarchie, mais seulement sur les pièces les plus faibles. Il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or. Dans cet univers, que peut faire un jeune homme pour sauver sa famille d’un autre drame. Jusqu’en Afghanistan elle a été le débusquer mettant en péril les soldats qui servaient sous les ordres d’Harry.

On est prêt à tout pour une photo achetée 100 000 livres ou une anecdote qui garantira votre place au panthéon des feuilles populaires. Alors quand Meghan, Archie et Lilibeth arrivent dans le portrait, une seule solution : quitter la vie publique anglaise.

Beaucoup trouvent ce comportement hypocrite, je le trouve intelligent. Et vous le savez, même si je suis sujet de sa majesté, je ne porte pas la monarchie dans mon cœur… mais c’est une autre histoire.

25 mars 2023

Carte postale 11

Filed under: écrits d'ailleurs — vslibre @ 9 h 54 min
Tags: , , ,

Lévis, mercredi 15 mars 2023

Chères Lectrices, Chers Lecteurs,

« Lieu où l’on s’amuse » est la traduction française du mot micmac (tribu amérindienne de l’est du Québec) Amqui. Amqui est une petite ville d’un peu plus de 6000 habitants dans la vallée de la Matapédia en Gaspésie. Lundi dernier, le 13 mars, onzième anniversaire de la tragédie du tunnel de Sierre où 28 personnes, dont 22 enfants, ont perdu la vie, Amqui n’avait pas envie de s’amuser.

Vers 15h, une camionnette a foncé sur plusieurs piétons qui marchaient en bordure de la route 132 au centre-ville. « Immédiatement » après selon la Sûreté du Québec (SQ), le suspect se livre au poste de police de la SQ à Amqui. On dénombrera 2 morts, un septuagénaire et un sexagénaire et 9 blessés graves. Parmi ces blessés, deux enfants, leur mère et leurs deux grands-parents.

Un événement isolé ai-je entendu durant toute la journée où cette triste histoire a mobilisé les médias de toute la province. Et pourtant, elle n’est pas très différente de celle que je vous ai racontée il y a quelques semaines. Rappelez-vous, l’autobus qui avait foncé dans une garderie de la ville de Laval. Le chauffeur de l’autobus, comme celui de la camionnette sont deux Québécois bien tranquilles en apparence.

Leur similitude : deux solitaires à la santé mentale fragile.  « Deux événements isolés dans une marée de détresse que l’on tente tant bien que mal d’amoindrir, à travers les listes d’attente interminables pour avoir accès aux soins psychosociaux », écrivait, Paule Vermot-Desroches dans Le Nouvelliste de Trois-Rivières.

Tout est dit : les interminables listes d’attente. Je n’y reviens pas, c’est le sujet de ma chronique ci-dessus. La détresse qui ressort de cette folie meurtrière ne peut que nous toucher. Pour les victimes d’abord qui ont vu leur vie fauchée sous le soleil de la Matapédia. Pour les proches ensuite, qui ne verront plus jamais ce même soleil de la même façon.

Triste printemps qui nous rappelle deux ans après l’éclatement de la pandémie que le monde n’est plus tout à fait pareil depuis…

Amicalement,

Pierrot

24 mars 2023

Quand le je m’en câl… déteint sur le privé.

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 6 h 51 min
Tags: , ,

« Je m’en câlisse »! Je n’ai pas osé l’écrire en grand, il y a des Québécois sensibles qui me lisent.  C’est un équivalent un peu plus cru à « je m’en fous ». Ce je m’enfoutisme qui polluent bien des pans de notre vie et qui, mais est-ce une spécialité québécoise? Se retrouvent souvent dans le comportement des services de l’État semble se propager au privé.

Je ne pense pas vous en avoir déjà parlé, mais j’ai un problème de sommeil. Non pas de banales insomnies, je m’endors parfaitement bien. Il m’arrive même de dormir dix heures en ligne. Mon problème, c’est que je me réveille fatigué! Ne riez pas, c’est drôle une ou deux fois, mais là ça fait des mois que ça dure.

« Il y a un délai d’attente de dix-huit mois pour ce genre de test », me lance en me fixant dans les yeux mon médecin de famille. Il vient de me donner mes résultats de tous mes examens. Je suis fatigué, mais en parfaite santé. Reste à vérifier ma manière de dormir. « Mais si vous êtes d’accord de payer un peu dans le privé, cet examen est beaucoup plus rapide », poursuit-il.

Le privé ne se comporte pas comme tel

Vous devinez mon choix. Un téléphone le lendemain et le rendez-vous est pris pour la semaine suivante. Quand l’État faillit, il n’y a pas à dire, le privé c’est le top. Surtout si on est d’accord de sortir quelques centaines de dollars, mais déductibles aux impôts. Malheureusement, deux jours avant mon rendez-vous, un coup de fil est venu changer mon humeur. « Désolé, mais un problème nous oblige à déplacer votre rendez-vous. Nous n’avons pas de disponibilité avant deux mois. » J’ai même dit merci, avant de sacrer dans mon coin (sacrer c’est jurer en québécois).

Le ton m’a surtout indisposé. Pas de compassion, juste la normalité. Vous n’allez pas vous plaindre déjà que vous gagnez seize mois parce que vous êtes un privilégié. Ça n’a pas été dit, mais le sous-entendu m’a paru limpide.

Un État qui ne remplit pas son mandat

Vous avez sûrement en tête mon texte de la semaine passée sur les déboires de la SAAQ. Pour parfaire le tout, on vient de retrouver des centaines de permis de conduire dans une déchetterie de la région de Québec. Ces permis sont des cartes d’identité. Il fallait quatre pièces différentes pour s’inscrire sur le site de la SAAQ, question de sécurité et on en pose des centaines au rebut à la portée de tous.

Je vous dis, il y a des fonctionnaires qui s’en câlissent de leur rôle, de leur fonction. L’État est tellement omniprésent qu’il se croit tout permis. Ces serviteurs oublient qu’ils sont d’abord au service des habitantes et des habitants de la province. Qu’il n’est pas normal que des gens fassent des heures de file pour renouveler un permis. Pire, il n’est pas normal que des êtres humains meurent oubliés dans un couloir des urgences après 48 heures sans même un verre d’eau.

Si, c’est arrivé à l’hôpital de Lévis où je réside!

Et ceux qui veulent le remplacer ne font pas mieux

L’État est défaillant OK. Je pense que c’est parce qu’il veut trop en faire, mais c’est un autre débat. Mais, le pire c’est que le privé qui tente de le remplacer, surtout en santé où on sent bien une certaine pression. Il prend vite les mêmes travers. Du moment que les pigeons ont l’habitude d’attendre, il suffit de raccourcir l’attente et ils seront contents.

Parfois, on ne raccourcit même pas l’attente, on la réorganise pour la rendre supportable et payante. Si, si, c’est possible. Dans la clinique que je fréquente, une clinique où les médecins dépendent de l’État, il y a un sans-rendez-vous pour ceux qui n’ont pas de médecin de famille. Alors, au lieu d’attendre son tour sur place, on peut payer cinq dollars et on recevra un SMS quand il ne restera que huit patients avant notre tour.

Faire payer l’attente, le privé québécois est quand même futé!

18 mars 2023

Carte postale 10

Filed under: écrits d'ailleurs — vslibre @ 8 h 18 min
Tags: , , ,

Lévis, vendredi 10 mars 2023

Chères lectrices, chers lecteurs,

Dans la vie d’un expatrié, il y a des moments agréables. La visite de connaissances de la vie d’avant en est un. Dimanche dernier, j’ai eu la surprise de recevoir un message d’une contemporaine qui m’annonçait son arrivée à Québec pour trois jours. Était-il possible de nous rencontrer?

Bien sûr que oui! Mardi, j’ai donc pris le café avec une famille saviésanne. Papa, maman et les trois enfants. Si j’avais usé les bancs d’école avec la maman, le papa faisait partie de la bande d’ados qui squattions le « péno » presque tous les samedis soirs. Quant aux enfants, les liens étaient bien présents aussi.

La plus grande des filles m’a embrassé en arrivant. Toute surprise de retrouver son prof de sciences de troisième primaire. Les enfants ne savaient pas qui ils allaient rencontrer lors de leur passage à Québec. Le garçon, lui, resta bouche bée devant Myrianne. Ma blonde avait été sa maîtresse en deuxième enfantine. Finalement, il n’y avait que la petite dernière qui ne nous connaissait pas.

Vingt ans plus tard, les deux jeunes nous remémoraient des souvenirs savoureux et émouvant. L’heure prévue pour la rencontre volée dans des emplois du temps un peu fou s’étira. Ce ne fut qu’après quatre heures de palabres gourmands que nous avons dû nous dire au revoir. Le temps ne s’étire pas à l’infini, même à l’autre bout du monde.

Ces surprises sont courantes depuis mon installation au Québec. C’est la deuxième en 2023 après le passage d’une ancienne collègue enseignante et sa famille au début janvier. Ce sont toujours des instants volés dans la frénésie quotidienne qui apportent un vent de fraîcheur et qui font la saveur de l’immigration volontaire.

Si vous passez dans le coin, surtout n’hésitez pas à faire un petit signe…

Amicalement,

Pierrot

17 mars 2023

SAAQ ne clique pas fort au Québec

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 6 h 14 min
Tags: , , ,

La Société de l’assurance automobile du Québec (la SAAQ – prononcer Sa-A-Que) est en crise. Non pas que la sécurité routière se soit subitement détériorée dans la province, mais l’institution québécoise a voulu faire son coming out numérique. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça s’est mal passé.

« Nos clients et clientes jouiront de plus d’autonomie et d’un gain de temps et ils auront accès à des transactions en ligne simplifiées. » Cette belle déclaration de Denis Marsolais, PDG de la SAAQ cause des migraines à bien des Québécoises et des Québécois.

Une société pour régler des problèmes.

Mais c’est quoi cette Société de l’assurance automobile du Québec? Le Québec vit sous le règne du « No fault » depuis 1978. Le terme exact est le régime d’assurance sans égard à la responsabilité de quiconque. Ce fut une des lois phares du premier gouvernement de René Lévesque. L’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1976 a fait du Québec une social-démocratie.

Dans ce contexte, pour lutter contre les interminables procès en responsabilité après les accidents automobiles, le gouvernement a fondé une assurance obligatoire qui ne s’occuperait plus de savoir qui a causé l’accident. Coupables, pas coupables, même tarif, tes primes augmentent en cas d’accident. Tous égaux devant la loi!

Depuis la SAAQ gère toutes les questions en lien avec l’automobile. C’est un peu le « service auto » du Québec. Bon avec les expertises en moins, il ne faut pas exagérer. Ce type de contrôles n’existe pas dans ma nouvelle région. Permis de conduire, permis de circulation, immatriculation et j’en passe: c’est quelque dix milliards de données qui devaient migrer sur une nouvelle plateforme.

« SAAQClic » ou plutôt pas

Donc, depuis le 27 janvier dernier à 17h, la migration de toute cette précieuse information a commencé des anciens systèmes vers « SAAQClic ». Ce passage se traduira par une période de transition pendant laquelle la clientèle aura accès à un nombre limité de services. 

D’ici là, « seuls certains services jugés indispensables seront accessibles », affirme la porte-parole, Anne-Marie Dussault Turcotte. Parmi eux : vérifier la validité d’un permis, remplacer un permis perdu ou volé, échanger un permis étranger, vérifier la conformité d’un véhicule routier, réserver ses examens de conduite pratiques ou payer le renouvellement d’un permis de conduire ou d’une immatriculation.

Ces perturbations devaient durer jusqu’au 20 février selon la régie. Malheureusement, plus d’un mois plus tard, on n’en voit toujours pas le bout. Tous les soirs, au journal télévisé, les images des files d’attente qui s’étire dans les rues devant les succursales constituent un feuilleton.

Tout avait été si bien préparé.

Un feuilleton que les fonctionnaires avaient prévu sur une durée d’un mois. Visiblement, le public en redemande puisqu’après un autre mois de supplémentaires, on ne voit toujours pas poindre un final à l’horizon. Sept ans de travaux préparatoires, des tests soi-disant à large échelle et en suffisances : tout avait été planifié avec soin. Sauf que, comme d’habitude, ça ne marche pas.

Petit à petit, au compte-goutte, on apprend que la préparation s’est faite entre spécialistes. Les fonctionnaires responsables de colliger les données jusqu’ici n’ont évidemment pas été pris en compte. Non seulement on ne leur a pas demandé leur avis, voyons ce ne sont que de simples fonctionnaires, ils ne connaissent rien en informatique, mais on n’a pas plus testé le nouveau système avec eux!

Quelques journalistes bien au courant des affaires informatiques de l’État ont même déniché dans l’organigramme du pilotage de cette réforme quelques spécialistes reconnus. Des noms qui apparaissaient déjà dans l’organigramme du nouveau système fédéral de paie Phénix, qui six ans après son implantation connaît toujours des ratés.

L’avenir numérique sera radieux

Mais surtout, cette transition représentait un premier test pour Québec. La nouvelle plateforme de la SAAQ a été intégrée au Service d’authentification gouvernementale, que le gouvernement veut implanter progressivement dans les prochaines années pour permettre aux usagers d’interagir avec tous les ministères au même endroit, de manière sécuritaire.

Cette interaction est la source d’une partie des problèmes actuels. En effet, pour avoir accès aux nouveaux services numériques, il faut s’inscrire et s’authentifier. Rien de moins que quatre documents d’identité étaient nécessaires au début du processus. Très vite le gouvernement a réduit les opérations à deux. La carte d’assurance maladie et le permis de conduire (qui font office de carte d’identité au Québec) suffisent maintenant.

Avant, il fallait un numéro d’assurance social (NAS), une carte d’assurance maladie, un permis de conduire et un avis de cotisation de Revenu Québec. Tout ça pour immatriculer un nouveau véhicule, pour renouveler un permis de conduire (chaque huit ans au Québec) ou pour toutes questions d’assurance automobile. Malheureusement, pas pour indemniser les professionnels de l’automobile, chauffeur, taxi, vendeur et bien d’autres qui ont passé des jours dans une file pour arriver devant des portes closes.

Au moins, leur cotisation à Revenu Québec sera plus digeste l’année prochaine…

10 mars 2023

Les transports publics, un service essentiel?

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 5 h 42 min
Tags: ,

Depuis quelques jours, les autobus roulent de nouveau à Lévis. Une entente a été trouvée entre le syndicat des chauffeurs et la société de transport. Après deux vagues de grèves, les négociations ont enfin abouti. Les usagers ne sont plus pris en otages. Toutefois la question des transports publics reste un problème.

« Oui, on a un volume de personnes moins important, mais pourquoi Lévis ne pourrait pas avoir son transport en commun considéré comme service essentiel? On n’est pas moins important. » On ne sait pas si ce cri du cœur du porte-parole de la Société des transports de Lévis (STLévis) va être entendu, mais il me paraît pour le moins risible.

Avant d’être essentiel, il faut du service!

Depuis mon arrivée au Québec et mon installation à Saint-Jean-Chrysostome, voici onze ans maintenant, je suis un habitué du transport en commun. Nous avons pris la décision avec ma conjointe de n’avoir qu’une seule voiture. Comme elle l’utilisait tous les jours pour se rendre au travail, j’ai pris l’habitude de voyager avec la STLévis.

Je me sens donc parfaitement bien placé pour juger le service du transport en commun. « On ne peut rien dire sur le service, il n’y en a pas! » Je peux reprendre facilement la boutade qui fait florès au bar du curling. En effet, comment critiquer un service lorsqu’on sent qu’il n’y a aucune volonté de changement ou d’amélioration ?

Il faut se rendre compte que le Québec, excepté peut-être Montréal, s’est urbanisé autour de la voiture. C’est une habitude en Amérique du Nord. Quand elle enseignait encore, ma blonde ne pouvait pas se rendre au travail en transport en commun. Le village où elle travaillait n’était relié à aucun système de transport collectif.

Une certaine idée des déplacements

Sainte-Claire n’est de loin pas le seul village orphelin. La plupart des régions du Québec sont inatteignables si on n’utilise pas la voiture. Pourtant, un réseau de voies de chemin de fer existait. Celle reliant Québec à Sainte-Claire traversait assez directement la campagne en passant par la plupart des villages de la région de Bellechasse.

Aujourd’hui, le tracé est une très belle piste cyclable. J’ai détaillé la première année de mon installation à Québec la cycloroute de Bellechasse sur mon blogue. Très agréable. Mais malheureusement, difficile de demander de faire 80 kilomètres de vélo chaque jour pour aller travailler.

Les quelques voies de chemin de fer qui servent aux passagers ne sont pas vraiment concurrentielles. Pour mon voyage à Montréal (voir ci-dessous) je devais prendre un train à 5h25 pour mon rendez-vous de 11h30 au consulat. Le suivant à 8h10 n’arrivait qu’à 11h26 à la gare Centrale. 3h15 de train contre 3h en voiture dans la neige.

En plus, les lignes de chemin de fer ne sont pas électrifiées. Ne sont plus, devrai-je dire. On a supprimé les lignes électriques vers le milieu du 20e siècle. Quant aux services de bus. Les liaisons interurbaines étant privatisées et pas jugées essentielles, seules les routes rentables sont desservies.

Pas de vraie volonté de changement

Mais revenons à Lévis. Le maire et la STLévis ont donc demandé au ministère des Transports d’être reconnu comme un service essentiel. Comme ça la grève ne pouvait pas être totale, un service minimum aurait été obligatoire. La ville n’est pas assez peuplée pour correspondre aux critères du ministère. Seuls les services de transports en commun qui desservent plus de 350 000 habitants sont considérés comme essentiels au vu de la loi. Lévis et ses 150 000 habitants sont loin du compte. Ce qui ne plait pas au maire Lehouiller.

Lui, il veut jouer dans la cour des grands. Pourtant, en onze ans, je n’ai vu aucune amélioration du service. Je dirai même qu’il a diminué. Si au début les bus de la grande ligne vers Québec attendaient ceux des villages en périphérie pour les correspondances. Ce n’est plus le cas depuis sept ou huit ans. On ne peut quand même pas gêner la circulation automobile.

L’horaire cadencé, bien connu en Suisse, est une notion absolument inconnue de ce côté de l’Atlantique. Si on prend le traversier depuis Québec, on n’est pas toujours sûr d’avoir une correspondance sur le quai. Souvent, elle vient de partir. Quant aux réclamations, n’en parlons pas. J’ai utilisé deux fois le formulaire du site. J’attends toujours une réponse. Après plus de cinq ans, j’ai peu d’espoir.

4 mars 2023

Carte postale 8

Filed under: écrits d'ailleurs — vslibre @ 10 h 53 min
Tags: , ,

Lévis, vendredi 24 février 2023

Chères Lectrices, Chers Lecteurs,

Il y a une année, la Russie envahissait l’Ukraine. Un truc de fous. Ça avait dû sonner un peu la même chose le 1erseptembre 1939 quand l’Allemagne a envahi la Pologne. On ne pensait jamais revivre de telle chose dans notre continent si civilisé. Que l’Irak envahisse le Koweït, bon on veut bien, mais pas en Europe.

Ceux qui sommes nés avant les années huitante, nous avions connu la guerre d’ex-Yougoslavie. Déjà là, nous étions incrédules, mais ce n’était qu’une « guerre civile » reliquat de la guerre froide. Nous n’avions pas su l’éviter, mais c’est resté à l’interne des frontières taillées après la Deuxième Guerre mondiale.

Rien à voir avec un pays européen qui envahit un autre pays européen. Rien qu’à le dire ou l’écrire, donne des frissons. Alors, vous pensez le vivre. Surtout que ce qui ne devait être qu’une « opération spéciale » rondement menée s’est avéré être une vraie guerre. Avec ses bombardements, ses avancées, ses reculs, puis ses tranchées. Comme une histoire déjà vue.

Ici au Canada, cette invasion a fortement résonné. Le pays accueille la deuxième plus grande communauté ukrainienne à l’étranger. Seule la Russie en accueillait plus. Je ne suis pas sûr que ce soit toujours le cas. Les grandes plaines de l’Ouest canadien ont été des terres prospères pour l’immigration. Le Québec n’est pas en reste depuis une année.

Comme en Valais, il a accueilli de nombreux, de nombreuses devrai-je dire, réfugiées ukrainiennes. Je ne compte plus les reportages médiatiques qui montrent combien les familles ont été accueillantes, combien les écoles ont su s’adapter pour recevoir au mieux et faire oublier, au moins un moment, les horreurs de la guerre à ces pauvres (dans le sens de malheureux) gens.

La guerre sévit toujours à l’Est de l’Europe, elle risque de durer. Au moins, elle montre que dans mes deux régions la civilisation gagne. Tant au Québec, qu’en Valais, les valeurs humaines prennent le dessus quand survient l’innommable.

Amicalement,

Pierrot

3 mars 2023

Le hockey, ce sport de gars, de vrais gars

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 6 h 51 min
Tags: , ,

Depuis le début du mois de février, le hockey junior est dans la tourmente au Canada. Après des affaires d’abus sexuels autour de l’équipe Canada junior, c’est toutes les organisations de ce qu’on appelle ici le junior majeur qui sont remises en cause. Une culture de la masculinité toxique y règnerait.

Radio-Canada a dévoilé le 13 février dernier le contenu d’un jugement de la Cour supérieure de l’Ontario concernant une demande de recours collectif de trois anciens joueurs de hockey junior. Pour bien comprendre de quoi on parle, je vais retranscrire ici le témoignage d’un de ces anciens joueurs.

Un récit bestial et cru

Avant de commencer, je vais faire le même avertissement que Martin Leclerc, journaliste à Radio-Canada : « Si vous vous apprêtez à lire cette chronique, il est important que vous sachiez qu’elle sera dérangeante. Les faits qui y sont allégués sont profondément troublants, choquants, et scandalisants. Il n’est pas question ici de la violation de quelconques règles sportives. On parle plutôt de la frontière entre la civilisation et la barbarie.

Extrait du témoignage du joueur AA (son identité est protégée par le tribunal, car il était mineur au moment des faits ): « Je me souviens que les vétérans me narguaient et me disaient que j’allais me faire initier. Je me souviens aussi que le directeur général me disait de ne pas réagir en mauviette quand mon initiation a dégénéré. […] Les vétérans m’ont sauté dessus dans le vestiaire. Ils m’ont lancé sur une table, étendu sur le dos. Ils ont enrubanné des bâtons de hockey entre mes jambes et les bras. Ils m’ont bandé les yeux. Je me sentais impuissant. Je les ai sentis uriner sur moi et me lancer des objets. Ils ont enroulé une corde autour de mon pénis. Ils ont lancé la corde au-dessus d’une barre située au-dessus de moi et ils ont attaché un sac à rondelles à l’autre extrémité de la corde. Ils ont lancé des rondelles dans le sac jusqu’à ce qu’il devienne de plus en plus lourd. C’était extrêmement douloureux. Ils ont enrubanné des rasoirs sur des bâtons de hockey et ils m’ont rasé de la tête aux pieds. Ils m’ont couvert de vaseline et de poudre pour bébé. Ils ont inséré un bâton de hockey dans mon anus. Ils ont recouvert mes parties génitales de crème analgésique chauffante. Je me souviens que mon scrotum était mauve. C’était atroce. »

Des mâles alpha

Je vous fais grâce des deux autres témoignages qui sont du même acabit. Je vous laisse imaginer l’électrochoc que cette médiatisation a provoqué. Des récits d’initiations dégradants sont connus dans divers domaines. Même dans des facultés d’université qui devraient être au-dessus de la mêlée, elles ont lieu.

Mais jamais, elles n’atteignent de tels niveaux. J’avais eu vent en Suisse de séances de cirage de partie génitale à l’armée, mais jamais avec un tel acharnement. Non, on a affaire ici à l’avènement de mâle dominant dans toute leur splendeur animale. Et pour ne rien arranger, avec la complicité des adultes.

« En une autre occasion, on m’a déshabillé et attaché à une table. On m’a ensuite fouetté avec ma propre ceinture pendant que tout le monde regardait. L’entraîneur est entré dans la pièce et il m’a aussi fouetté. » Cet extrait du témoignage du deuxième plaignant est peut-être encore plus grave.

The 1920 Winnipeg Falcons, the world’s first Olympic Hockey Champions

Des adultes complices

Car cette fois, impossible pour les adultes responsables de se cacher derrière l’ignorance des situations. Le jugement est clair sur ce sujet. Il stipule : « les sévices ont été commis au vu et au su des dirigeants des équipes. Et que lorsque les joueurs étaient échangés à une autre formation, ils étaient victimes des mêmes formes d’abus ou constataient que leurs coéquipiers plus jeunes étaient soumis aux mêmes formes d’abus. »

Devant ces faits accablants, évidemment que le politique n’a pas eu le choix que de s’emparer de la question. Et que fait-on au Québec quand une situation n’est plus sous contrôle? On convoque une enquête publique!

Cette fois, elle a été très vite organisée. En moins d’une semaine. Et l’Université Mc Gill qui ne voulait pas comparaître s’est vite ravisée. La pression publique a été trop forte. Pourtant pas assez forte pour que les choses évoluent vraiment. Ce n’est pas le « code du vestiaire » promis par la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) qui va radicalement changer les mentalités.

Elle a de la peine à accepter de bannir les bagarres de ses compétitions, alors s’occuper des initiations qui font les « vrais gars » est sûrement trop leur demander. La virilité du sport national canadien a encore de belles années. À moins que la désertion des jeunes pour ce sport géré comme dans un autre temps accélère le mouvement.

Propulsé par WordPress.com.