Les privilèges, hydre de l’anarchie
Les immunités ecclésiastiques illustrent le conflit opposant, au cours des années 1840, le clergé au radicalisme. Le caractère arbitraire de ce type de privilège se trouverait à l’origine de la contre-révolution de mai 1844, lorsque des prêtres, « qui devraient être des ministres de paix », protégés par leurs immunités, préparent la guerre civile. Notons cependant que tant que le gouvernement libéral travaille à des projets d’amélioration sans affecter les prérogatives ecclésiastiques, il ne rencontre aucune opposition.
Deux passe-droits révèlent le caractère de favoritisme associé aux immunités dont bénéficie le clergé ; celui-ci, en totale infraction avec le Pacte de 1815, se trouve exempté des taxes publiques pour les biens qu’il possède ; il bénéficie également de la dispense des charges militaires, une posture peu chrétienne envers les pauvres qui, eux, s’acquittent de leurs obligations.
Le privilège du for ecclésiastique, tant en matière civile qu’en matière criminelle, représente une deuxième faveur. Ainsi, le clergé au nom de la religion établit pour lui seul une juridiction exceptionnelle et secrète ; une pratique qui laisse impunies les actions les plus coupables. Si la répression des délits qu’un prêtre commettrait dans l’exercice de son ministère appartient à l’autorité ecclésiastique, il ne devrait pas en être de même pour les causes criminelles. L’Écho des Alpes dénonce avec acharnement des délits de mœurs d’ecclésiastiques et déplore qu’il existe une « caste qui jouit du privilège de l’impunité ».
Les libéraux, fervents promoteurs de l’égalité de tous devant la loi, réclament l’abolition de tous ces privilèges au motif que leur maintien représente un empiétement de l’Église sur la souveraineté du peuple.
Dans son ouvrage La contre-révolution en Valais, Maurice Barman reproche au clergé le caractère permanent de leurs immunités, car celles-ci « s’attachent au cœur du pays et le rongent », pas tant par leur action propre mais plutôt par la méfiance qui en résulte et notamment par le « déni de justice qui les protège ». Certes, le pays souffre, « un ver impur le rongeait au cœur » mais contrairement aux réactionnaires qui voient « ce ver » au sein de la Jeune Suisse ou dans les colonnes de l’Écho des Alpes, le radical reste persuadé que les prérogatives du Clergé » comme les manœuvres utilisées pour les conserver constituent la principale cause de la discorde.
Maurice-Eugène Filliez, autre acteur des événements de mai 1844, relate dans son ouvrage La vérité à ses concitoyens du Valais – écrit durant son exil forcé en terre vaudoise – les méfaits du maintien de toutes les immunités et les dénonce comme source des dissensions politiques.