Valais Libre

1 octobre 2012

Benjamin Constant (1767 – 1830)

Le libéralisme n’a pas toujours bonne presse. Trop souvent, le terme est associé à l’économie, à l’ultra-libéralisme ou au néo-libéralisme. C’est très réducteur, c’est surtout utile à ceux qui veulent déconsidérer leurs adversaires politiques. Le libéralisme, c’est aussi et avant tout une philosophie, une pensée, une vision de la société. Il s’est construit à travers le temps autour de quelques-uns des plus grands penseurs de notre histoire. Savoir d’où l’on vient, connaître nos racines est fondamental. Benjamin Constant a marqué la pensée libérale. Suite à la révolution française, il a voulu une République qui n’autorise pas le despotisme du peuple.

Germaine épouse-moi ! C’est à peu près par ces mots que Benjamin Constant pousse Mme de Staël a lui refuser sa main. Cette scène, qui doit se passer vers 1807, décidera le romancier à se remarier secrètement avec Charlotte de Hardenberg en 1808.

La liaison tant charnelle qu’intellectuelle qu’entretiendra Constant avec Germaine de Staël, la fille de Necker, le banquier de Louis XVI, entre 1795 et 1810, aura marqué son temps. Le groupe de Coppet, du nom du village au bord du Léman où vivent Germaine et Benjamin, rayonnera par leur emprise intellectuelle.

Une vie tumultueuse

Benjamin Constant de Rebecque naît à Lausanne le 25 octobre 1767. Sa mère décède quelques jours plus tard, le 10 novembre, des suites de l’accouchement. Son père, colonel dans un régiment suisse au service de la Hollande, le confiera à divers précepteurs fréquemment congédiés. La prime jeunesse du jeune Benjamin est fortement marquée par l’absence de mère, par les luttes entre familles paternelle et maternelle pour sa garde et par de fréquents déménagements.

Il se mariera une première fois en 1789 avec la baronne de Cramm, dame d’honneur de la duchesse de Brunswick où il a un engagement en tant que chambellan. Cette union tumultueuse prendra fin définitivement en 1795 avec le divorce.

Après les tumultes de sa liaison avec Mme de Staël, Benjamin s’apaisera dans les bras de sa seconde épouse Charlotte qui l’accompagnera durant les 20 dernières années de sa vie. Benjamin Constant meurt à Paris le 8 décembre 1830. Il aura droit à des funérailles grandioses, empreintes d’émotions.

Vie politique

La carrière politique de Benjamin Constant est un peu à l’image de sa vie tumultueuse et indécise au départ, plus apaisée par la suite. Battu plusieurs fois aux élections à la députation nationale, en 1798 et en 1799, il accèdera à un premier poste important en 1800 lors de son entrée au Tribunat, l’une des trois chambres qui composent le Parlement du Consulat.

Loin de se soumettre au premier Consul Bonaparte qui l’avait accepté avec réticence, il va contester le futur empereur. Son attitude ne survivra pas au remaniement du Tribunat en 1802. Ce sera le départ en exil lémanique.

Il reviendra en France en 1814. Après la parenthèse des 100 jours, il finira par se faire élire en 1819 et restera député jusqu’à sa mort en 1830. Fidèle à son libéralisme, il sera le chef de file de l’école libérale.

La souveraineté limitée

Constant délivre l’essentiel de sa pensée politique au début du 19ème siècle dans ses « Principes de politique applicables à tous les gouvernements » publié en 1806. Sa grande interrogation est : « Comment instituer la souveraineté du peuple ou de la nation tout en protégeant le citoyen contre le risque de voir ses droits individuels menacés par ses représentants ? »

Une de ses réponses, qui tient une place centrale dans sa pensée, est la théorie de la souveraineté limitée. Le peuple n’a pas le pouvoir absolu. Les dérives de la Terreur issue de la Révolution de 1789 ont poussé Constant à s’opposer à la pensée de Rousseau. Il n’est pas un fanatique des Républiques antiques très à la mode à son époque. Elles n’ont nullement sublimé la liberté de l’individu, mais au contraire contraint le citoyen à s’aligner sur la communauté. Constant se bat pour l’exigence libérale de la limitation de l’autorité gouvernementale par la reconnaissance et la garantie des droits individuels.

Girouette ?

Longtemps victime de la boutade de l’historien Guillemin : « Constant, l’inconstant », l’image de Benjamin Constant a mis du temps à être reconnue comme fidèle à sa pensée. L’édition des « Principes de politique (1806 – 1810) », manuscrit resté inédit jusqu’en 1980 a permis de rétablir cette image.

Tant que les principes qu’il promeut peuvent être appliqués, peu lui importe le mode de gouvernement. République, empire ou monarchie constitutionnelle, il s’est adapté à chaque régime sans perdre de vue son combat pour la garantie des libertés individuelles.

19 septembre 2012

Ludwig von Mises (1881 – 1973)

Le libéralisme n’a pas toujours bonne presse. Trop souvent, le terme est associé à l’économie, à l’ultra-libéralisme ou au néo-libéralisme. C’est très réducteur, c’est surtout utile à ceux qui veulent déconsidérer leurs adversaires politiques. Le libéralisme, c’est aussi et avant tout une philosophie, une pensée, une vision de la société. Il s’est construit à travers le temps autour de quelques-uns des plus grands penseurs de notre histoire. Savoir d’où l’on vient, connaître nos racines est fondamental. Ludwig von Mises est un véritable optimiste libéral pour qui le capitalisme est le seul ordre social possible.

Le libéralisme a toujours eu en vue le bien de tous, et non celui d’un groupe particulier. (…) Le programme du libéralisme devrait donc, résumé en un seul mot, se formuler ainsi : propriété, c’est à dire propriété privée des moyens de production. (…) Toutes les autres exigences du libéralisme découlent de cette exigence fondamentale.

Ce credo, paru en 1927 dans Le Libéralisme, illustre à merveille la pensée de l’économiste autrichien. Ludwig Heinrich Edler von Mises voit le jour dans une famille de marchands juifs germanophones résidant depuis des siècles en Galicie, dans l’actuelle Ukraine.

Très vite, la famille déménage à Vienne où Ludwig étudiera le droit à l’université.

Naissance d’un économiste

Dès 1903, l’influence de Carl Menger, dont il lit durant ces années les Principes d’économie, et d’Eugen von Böhm-Bawerk, dont il suit le séminaire privé entre 1904 et 1914, le poussera vers l’économie. Mises déclara que c’est de la lecture des Principes de Menger que naquit sa vocation d’économiste. Dès lors il transforme sa pensée et l’étatiste qu’il était devient un défenseur du libéralisme. Ses connaissances économiques immenses lui permettront des contributions particulièrement originales.

Il fera de ses travaux de thèse sur la question de la monnaie, question ignorée jusque-là par l’école autrichienne. Il en sortira en 1912 la Théorie de la monnaie et du crédit, dans laquelle il soutient que l’étalon-or est le seul système monétaire viable. A la suite de la publication de son ouvrage, il obtient en 1913 un premier poste d’enseignement non rémunéré à l’université de Vienne; il devient privatdozent. Ce refus de l’université de Vienne de le nommer à l’une des trois chaires rémunérées est dû à trois raisons : Mises était libéral dans un monde ou l’interventionnisme socialiste et fasciste montait en puissance, juif dans une ville de plus en plus antisémite et il refusait de céder sur ses principes. Dans le même temps, il reste conseiller économique de la Chambre de Commerce de Vienne; c’est de ce poste qu’il tire ses revenus.

Fuite du nazisme

Dès 1934, il occupe la chaire de relations économiques internationales à l’Institut Universitaire des Hautes Études Internationales de Genève. En 1940, il achève à Genève la rédaction de Nationalökonomie, ouvrage dans lequel il aborde les grands thèmes développés plus tard dans L’action humaine. En cette même année, il décidera de s’exiler en Amérique après l’invasion des Pays-Bas, de la Belgique et de la France par l’Allemagne nazie.

Vie aux USA

Il arrive à New York le 2 août 1940. Les débuts de sa nouvelle vie sont difficiles, même si la langue n’est pas un obstacle majeur, Mises étant à l’époque quasiment trilingue allemand-français-anglais. Même s’il n’a pas encore de poste d’enseignement, il participe à la vie intellectuelle. En 1942-1943, il écrit une série de neuf articles dans The New York Times dans lesquels il peut développer sa pensée et se faire connaître dans le pays.

En 1949, il met la touche finale à la rédaction de son magnum opus, L’action humaine, sur lequel il travaillait depuis 1942. Il s’agit d’une version anglaise, révisée et largement adaptée de son précédent livre Nationalökonomie de 1934. L’ouvrage connaît un grand succès et six tirages en sont faits.

A la fin des années 1960, il réduit progressivement ses activités.. Il abandonne son séminaire en 1969, à l’âge de 88 ans . Il s’éteint quatre ans plus tard à New York, le 10 octobre 1973, âgé de 92 ans.

Critique du socialisme

Mises a marqué son époque par une critique sévère des théories socialistes. L’avènement du communisme et ses échecs spectaculaires furent analysé dans deux livres retentissants : Le Socialisme (1922) et Le Libéralisme (1927). Il montre que la propriété collective des moyens de production ne permet plus le calcul économique rationnel. Le socialisme censé améliorer le sort des peuples mène donc à la régression économique, c’est-à-dire à l’inverse du but recherché.

Mises explique que les socialistes ont une conception erronée du travail. Le travail inspire la révulsion, l’individu travaille pour pouvoir profiter ultérieurement de jouissances que lui procure le fruit de son travail. Or, comme par magie, dans un système socialiste, les hommes travailleraient dans la joie ; ils éprouveraient le besoin d’être actifs, même si ça ne leur profite pas nécessairement. Mises réfute ce type de pensée.

Si le capitalisme s’est imposé en dépit de l’hostilité qu’il a toujours rencontrée auprès des masses et des gouvernements, s’il n’a pas été obligé de céder la place à d’autres formes de coopération sociale (…), on ne peut l’attribuer qu’au fait qu’il n’existe absolument aucun autre ordre social possible. (Le Libéralisme, 1927)

12 septembre 2012

John Milton (1608 – 1674)

Le libéralisme n’a pas toujours bonne presse. Trop souvent, le terme est associé à l’économie, à l’ultra-libéralisme ou au néo-libéralisme. C’est très réducteur, c’est surtout utile à ceux qui veulent déconsidérer leurs adversaires politiques. Le libéralisme, c’est aussi et avant tout une philosophie, une pensée, une vision de la société. Il s’est construit à travers le temps autour de quelques-uns des plus grands penseurs de notre histoire. Savoir d’où l’on vient, connaître nos racines est fondamental. John Milton fait partie de la grande famille des bâtisseurs de la pensée libérale. Parcourant le 17ème siècle anglais et ses révolutions, la décapitation du roi Charles I, Milton ouvre les portes d’une pensée libérale.

Comment un homme peut-il enseigner avec autorité – source vitale de l’enseignement -, comment peut-il instruire par son livre (…) quand tout ce qu’il enseigne, quand tout ce qu’il exprime reste sous la garde, sous la correction de ce nouveau « patriarche » de censeur, effaçant ou retouchant tout ce qui ne concorde pas parfaitement avec les préjugés entêtés qu’il nomme son jugement ?  John Milton écrit ces lignes en 1644. Le poète est torturé, énervé, ulcéré même. Marié à une femme plus jeune que lui en 1642, celle-ci s’est enfuie quelques mois après chez ses parents. Il rédige alors 4 textes sur le divorce qui lui attire les foudres de l’autorité.

Il profite de la publication d’une ordonnance royale en 1643 qui redonne à la corporation des libraires le monopole des presses et qui instaure la censure préalable pour rédiger, en quelques semaines, l’Aéropagitique, pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure. Ce manifeste, qui est considéré par certains comme le meilleur ouvrage en prose de Milton, est avant tout l’ouvrage d’un homme engagé dans la mêlée de son siècle. Son nom vient de Aeropagus, le site où se réunissait le Conseil d’État à Athènes dans la Grèce ancienne.

Sa vie

Nous retrouvons le poète plus de 20 ans plus tard, toujours aussi maussade, introverti et de mauvaise humeur. Il marche dans sa modeste chambre, il dicte à ses filles des vers sublimes qu’il retouche sans cesse. Le poète est en effet aveugle, il vient de se marier pour la troisième fois. Il a retrouvé sa première femme en 1645 de retour de chez ses parents, on ne sait si c’est sur l’injonction de ceux-ci ou si, plus simplement, la guerre civile quelque peu apaisée, le trajet de retour a pu enfin se faire.

Elle lui donnera quatre enfants avant de mourir à 26 ans. Il devient aveugle à la même époque. Quelques années auparavant, La victoire parlementaire et le procès du roi Charles Ier à la fin de l’année 1648 et au début de l’année 1649 donnent à Milton l’espoir de voir émerger une plus grande liberté. Il apporte son soutien à un régime parlementaire et argumente en défaveur du roi, il sera nommé secrétaire d’Etat aux langues étrangères. Il est chargé des relations épistolaires avec les puissances étrangères et du compte-rendu des communications relatives à ce ministère au Parlement.

Un grand poète

Les vers qu’il dicte à ses filles et à d’autres assistants constitueront l’œuvre majeure de John Milton qui le feront reconnaître durant longtemps comme le plus grand poète anglais, devant Shakespeare. Le Paradis perdu (Paradis Lost) est un poème épique paru en dix livres lors de sa première édition en 1667.

Le poème traite de la vision chrétienne de l’origine de l’Homme, en évoquant la tentation d’Adam et Ève par Satan puis leur expulsion du jardin d’Éden. Ce texte a été traduit en français par Chateaubriand, lors de son exil en Angleterre.

En 1674, paraît la seconde édition de Paradise Lost en douze livres. John Milton meurt le 8 novembre de cette même année.

La liberté

Mais la contribution de Milton à la pensée libérale reste sa défense de la liberté d’écrire : Autant, presque, tuer un Homme que tuer un bon Livre ; qui tue un Homme tue une créature de raison à l’image de Dieu ; mais celui-là qui détruit un bon Livre ; tue la raison elle-même, tue l’Image et comme le regard de Dieu. Tout est dit dans cette proclamation de Milton. Vouloir contrôler les pensées, c’est refuser aux hommes le crédit de l’intelligence auquel ils ont droit, c’est empêcher les débats publics qui permettent à la vérité de triompher, c’est enlever toute autorité aux ouvrages publiés. C’est s’arroger une puissance salvatrice qui n’appartient qu’au créateur. Les penseurs libéraux qui suivront n’ajouteront rien d’essentiel à ce plaidoyer.

29 août 2012

Alexis de Tocqueville (1805 – 1859)

Le libéralisme n’a pas toujours bonne presse. Trop souvent, le terme est associé à l’économie, à l’ultra-libéralisme ou au néo-libéralisme. C’est très réducteur, c’est surtout utile à ceux qui veulent déconsidérer leurs adversaires politiques. Le libéralisme, c’est aussi et avant tout une philosophie, une pensée, une vision de la société. Il s’est construit à travers le temps autour de quelques-uns des plus grands penseurs de notre histoire. Savoir d’où l’on vient, connaître nos racines est fondamental. Alexis de Tocqueville fait partie de la grande famille des bâtisseurs de la pensée libérale. Né à la fin de la Révolution française, il traversera une partie du 19ème siècle en laissant une empreinte importante. Voyageons avec lui :

Le 9 mai 1831, un navire battant pavillon américain, mais au nom français, Le Havre, entre dans le port de Newport (au nord de New-York). A l’avant, admirant la dextérité des marins de ce magnifique voilier, deux hommes, deux avocats, rêvent de grandeur. Le premier, Gustave de Beaumont travaille au parquet de Versailles. Le deuxième ne sait pas encore que, de son séjour en Amérique, il ramènera la matière à un livre qui fera de lui le français le plus populaire aux Etats-Unis après le libérateur Lafayette. Charles Alexis Clérel de Tocqueville, puisque c’est de lui qu’il s’agit, et son ami Beaumont ont reçu un ordre de mission du ministre de l’Intérieur pour mener une enquête sur le système pénitentiaire américain.

Voyage en Amérique

Durant 9 mois, les deux amis vont sillonner le pays pour récolter minutieusement les informations nécessaires à leur mission. Mais ce qui passionne le plus Alexis de Tocqueville, c’est l’organisation politique de la jeune nation. Les Etats-Unis ont un peu plus de 50 ans, le pays est en construction, en plein essor.

Des forêts impénétrables où l’envie de rencontrer les indigènes, les indiens, est quasi irrésistible aux périls du Mississippi gelé durant le terrible hiver 1831 /1832, les voyages se succèdent. Le frêle, le chétif juge-suppléant de Versailles domine ses peurs pour aller à la rencontre de la population tout comme des grands hommes (il rencontrera le président Jackson) qui construisent la future grande puissance mondiale.

De retour en France à la fin février 1832, les deux amis trouvent Paris en pleine épidémie de choléra. Ils se retirent à la campagne pour pondre leur rapport. Si Beaumont travaillera à la rédaction du rapport pénitentiaire, Tocqueville n’y apportera que quelques retouches et commentaires. Son souci est la mise en ordre de ses multiples cahiers de notes dont il tirera un ouvrage majeur : De la Démocratie en Amérique.

Du Royalisme à la République

Né à Paris, dans une famille de la petite noblesse normande, le 29 juillet 1805, Alexis de Tocqueville compte comme aïeul Malherbes qui avait protégé les « encyclopédistes » contre les abus royaux et ensuite défendu le roi, après la révolution, devant la Convention. Il finira guillotiné. Le père et la mère d’Alexis n’échapperont que de peu à la guillotine, la chute de Robespierre les délivrant des geôles de la Terreur.

Tocqueville sera marqué par ces événements et le souvenir de son arrière-grand-père l’influencera. Après son séjour en Amérique, il s’installera comme avocat. Il publie la première partie De la Démocratie en Amérique en 1835, la deuxième partie plus analytique paraîtra en 1840 avec moins de succès. Dès lors il devient un homme public connu et reconnu. Il sera élu à l’académie française en 1841.

En parallèle, il débute une carrière politique. Député de Valognes dans la Manche de 1839 à 1851, il jouera un rôle très libre au Parlement. Reconnu, écouté, il n’arrivera jamais à former un groupe autour de lui. Trop libéral pour le parti dont il était issu, pas assez enthousiaste des idées nouvelles aux yeux des républicains, il n’a été adopté ni par la droite, ni par la gauche, il est demeuré suspect à tous. Ce jugement de Raymond Aron est un peu dur, mais il reflète la solitude politique de Tocqueville à son époque.

Influencé par la révolution de 1830 qui a chassé Charles X, il n’a pas utilisé son fusil de volontaire de la Garde Nationale pour défendre les Bourbons, Alexis de Tocqueville travaillera à la République, mais une République de l’Ordre. Il sera quelques mois ministre des Affaires Etrangères entre juin et octobre 1849. Opposé au Coup d’État du 2 décembre 1851, il sera incarcéré à Vincennes puis relâché, il quitte la vie politique.

Retiré en son château de Tocqueville, il entame l’écriture de L’Ancien Régime et la Révolution, paru en 1856. Il meurt en convalescence à Cannes le 16 avril 1859, où il s’était retiré six mois plus tôt avec sa femme, pour soigner sa tuberculose. Il est enterré au cimetière de Tocqueville.

Une œuvre sociologique

« Tocqueville ne figure pas d’ordinaire parmi les inspirateurs de la pensée sociologique. Cette méconnaissance d’une œuvre importante me paraît injuste.» Raymond Aron qui a fait connaître Tocqueville à ses compatriotes français à travers son livre Les étapes de la pensée sociologique paru en 1967, a décomposé la démarche de Tocqueville. Il prend d’abord une multitude de notes minutieuses, il va sur le terrain interroger un maximum de personnes et observer directement les situations, les organisations. Ensuite il décrit, décompose, déstructure, mais il ne s’arrête pas là : il porte un jugement.

Ce n’est plus l’habitude dans la sociologie moderne. Aujourd’hui, spécialisation oblige, on ne mélange plus la description du commentaire. Mais au 19ème c’est chose courante. Alexis de Tocqueville n’est pas seulement sociologue, il est aussi et surtout philosophe, politologue.

Sa Démocratie

Le jeune avocat rentre d’Amérique avec une vision de la Démocratie qui va se bonifier à travers ses recherches, ses études, ses réflexions. A ses yeux, la démocratie est l’égalisation des conditions. Est démocratique la société où ne se subsistent plus les distinctions des ordres et des classes, où tous les individus qui composent la collectivité sont socialement égaux, ce qui ne signifie d’ailleurs pas intellectuellement égaux, ce qui serait absurde, ni économiquement égaux, ce qui, d’après Tocqueville, serait impossible. L’égalité sociale signifie qu’il n’y a pas de différences héréditaires de conditions, et que toutes les occupations, toutes les professions, toutes les dignités, tous les honneurs sont accessibles à tous.

Fédéralisme

S’il n’y avait que de petites nations et point de grandes, l’humanité serait à coup sûr plus libre et plus heureuse ; mais on ne peut faire qu’il y ait pas de grandes nations. (…)Les petites nations sont souvent misérables, non point parce qu’elles sont petites, mais parce qu’elles sont faibles, les grandes sont prospères, non point parce qu’elles sont grandes, mais parce qu’elles sont fortes. (…) C’est pour unir les avantages divers qui résultent de la grandeur et de la petitesse des nations que le système fédératif a été créé. Il suffit de jeter un regard sur les Etats-Unis d’Amérique pour apercevoir tous les biens qui découlent pour eux de l’adoption de ce système.

Tocqueville exige que l’état soit assez grand pour disposer de la force nécessaire à la sécurité, et assez petit pour que la législation soit adaptée à la diversité des circonstances et des milieux. Cette combinaison n’est donnée, pour lui, que dans une constitution fédérale ou confédérale. Et pour fonctionner au mieux, la démocratie devra s’appuyer sur des citoyens formés au civisme et actifs dans la société. La cellule de la commune avec sa proximité est un laboratoire indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. Les citoyens américains prennent l’habitude de régler les affaires collectives dès le niveau de la commune.

Dangers

Deux dangers principaux menacent l’existence des démocraties : l’asservissement complet du pouvoir législatif aux volontés du corps électoral, la concentration dans le pouvoir législatif de tous les autres pouvoirs du gouvernement. Tocqueville soulève également les limites du système. Elève de Montesquieu, il prônera une stricte séparation des pouvoirs.

La démocratie, dit encore Tocqueville, tend à généraliser l’esprit de cour, étant entendu que le souverain que les candidats aux offices iront flatter est le peuple et non le monarque. Mais flatter le souverain populaire ne vaut pas mieux que flatter le souverain monarchique. Peut-être même est-ce pire, puisque l’esprit de cour en démocratie, c’est ce qu’on appelle, en langage ordinaire, la démagogie.

Libertés

La liberté d’association et l’usage qui en est fait, la multiplication des organisations volontaires, contribuent à la sauvegarde de la liberté, au bon fonctionnement de la démocratie. La liberté de la presse lui paraît chargée d’inconvénients de toutes sortes, tant les journaux sont portés à en abuser, tant il est difficile qu’elle ne dégénère pas en licence. Mais il ajoute, selon une formule qui ressemble à Churchill à propos de la démocratie, qu’un seul régime est pire que la liberté de la presse, c’est la suppression de cette liberté.

Testament

Au final, Tocqueville nous laisse une œuvre forte, puissante et révélatrice d’une philosophie basée sur la primauté de l’homme. Seul le bien-être individuel mène les comportements, le génie consiste à faire en sorte que ce bien-être individuel coïncide avec le bien-être collectif. Des règles librement consenties mènent à cet équilibre. De l’Amérique, Tocqueville nous restitue vision qui annonce les principaux mythes de la société industrielle : le changement comme principe de permanence, le progrès comme moteur économique, la communication – au propre comme au figuré – comme vecteur de la prospérité, la mobilité sociale comme marchepied de l’égalité démocratique.

A lire pour en savoir plus :

Alexis de Tocqueville, Gilles de Robien, Grandes Biographies, Flammarion, 2000

Les étapes de la pensée sociologique, Raymond Aron, NRF, Gallimard, 1967

Constant et Tocqueville face aux limites du libéralisme moderne, Olivier Meuwly, Droz, 2002

Tocqueville, les sources aristocratique de la liberté, Lucien Jaume, Fayard, 2008

De la démocratie en Amérique, Schoenhofs Foreign Books 1986 collection Folio,

L’Ancien Régime et la Révolution, Garnier-Flammarion, n° 500 (édition F. Mélonio).

Lettres Choisies et Souvenirs (1814-1859). Gallimard, collection Quarto, 2003.

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