Le 21 janvier dernier, Julie Payette, gouverneure générale du Canada a démissionné. Cette info qui peut faire sourire en Suisse suscite de la colère, de l’incompréhension ou des railleries au Canada. Justin Trudeau pensait avoir trouvé une perle en nommant la deuxième Canadienne à avoir été dans l’espace. Il s’est plutôt retrouvé avec une météorite incontrôlable qui a fini par imploser en vol.
« Ce matin, j’ai eu une conversation téléphonique avec Sa Majesté la Reine et je l’ai informée que le juge en chef du Canada remplira les fonctions de gouverneur général de façon intérimaire », a indiqué le premier ministre du Canada en conférence de presse à Rideau Cottage, vendredi. Justin Trudeau a ajouté qu’« une recommandation concernant un remplaçant sera présentée en temps et lieu ». La Presse du 22 janvier 2021 reprenait les mots du chef d’État canadien.
Une femme de l’espace
La veille, Julie Payette avait déclaré lors de sa démission : « pour le bien de notre pays, pour l’intégrité de ma fonction vice-royale et de nos institutions démocratiques, je suis arrivée à la conclusion qu’un nouveau gouverneur général devrait être nommé […], car les Canadiens méritent la stabilité en ces temps incertains ».
Astronaute en chef de l’Agence spatiale canadienne entre 2000 et 2007, Julie Payette avait eu l’occasion de participer à deux missions spatiales à bord des navettes américaines Discovery en 1999 et Endeavour en 2009. Au total, elle aura passé presque un mois dans l’espace.
Après ces aventures, elle se consacre à la vulgarisation scientifique en devenant directrice du Centre des sciences de Montréal. C’est fort de ce bagage que Justin Trudeau la choisit pour la proposer comme gouverneure générale en 2017. Sa nomination est confirmée par la reine Élisabeth II le 13 juillet 2017.
Au caractère acariâtre
Le conte de fées ne sera pas aussi serein que l’aurait espéré le premier ministre du Canada. Si l’astronaute était une bonne vulgarisatrice scientifique qui passait très bien devant les caméras de l’émission « Découverte » de Radio-Canada, il en ira tout autrement dans la fonction protocolaire de représentante de la reine au Canada.
En juillet 2020, CBC News, la chaîne d’information du Canada anglais, lâchait une bombe : le climat de travail autour de la gouverneure générale serait toxique. Deux jours plus tard, Ottawa ouvrait une enquête officielle pour faire la lumière sur ces allégations. Radio-Canada n’était pas en reste en ajoutant quelques jours plus tard le témoignage d’employés du Centre des sciences de Montréal.
Il semble que l’astronaute ait eu du mal à redescendre sur terre. Son caractère « exigeant » pour ne pas dire acariâtre faisait régner un climat tendu autour d’elle. Il semblerait qu’elle ait du mal à accepter que tout le monde ne fonctionne pas à son niveau.
Pour une fonction supérieure
Si ça passait encore dans un milieu scientifique, le personnel de Rideau Hall, la résidence du gouverneur général du Canada, a eu beaucoup de mal à s’adapter. Pas facile de se faire dénigrer parce qu’on ne connaît pas la suite des planètes ou la vitesse de la lumière… La fonction étant diplomatique, les habitudes sont plutôt feutrées normalement.
Car le gouverneur général est le représentant du monarque canadien, actuellement la reine Élisabeth II. Il exerce quasi tous les pouvoirs de la Couronne. Le Canada étant une monarchie parlementaire il a choisi, lors de sa fondation en 1867, le monarque régnant en Angleterre comme son souverain. Celui-ci délègue donc ses pouvoirs, à l’exception des privilèges royaux à un gouverneur général qui est aussi le chef des Forces armées canadiennes.
Nomination du premier ministre, convocation, prorogation et dissolution du Parlement, sanction royale aux lois votées, les pouvoirs paraissent grands, mais ils sont essentiellement honorifiques. Tout est réglé par les usages et la coutume. Une large part du travail est protocolaire, puisque le gouverneur général remplit aussi les fonctions dévolues à un chef d’État.
Est-ce bien nécessaire ?
On pourrait se poser la question de la pertinence d’une telle fonction. Toutefois, elle est essentielle au bon fonctionnement des institutions. Même si la reine n’intervient pas dans les décisions politiques, il en va de même pour son représentant au Canada, elle a son rôle à jouer. Après des élections où aucun parti n’a la majorité absolue, elle pourrait choisir théoriquement un autre chef que celui du parti ayant le plus de sièges comme premier ministre.
Mais cela reste bien théorique. Là où je lui vois un rôle plus essentiel, c’est dans le processus législatif. Le gouverneur général donne la sanction royale, au nom de la reine, aux projets de loi arrivés en fin de parcours. Sans cette sanction aucune loi ne peut s’appliquer.
Il faut un souverain.
C’est en découvrant cette obligation que j’ai pleinement compris pourquoi en Suisse on disait que le peuple était souverain. Le peuple joue le rôle du souverain en validant les lois votées par les Chambres fédérales. Il exerce ainsi le dernier et le principal pouvoir démocratique.
Et le peuple souverain a plus de pouvoir que le souverain dans les monarchies parlementaires. En effet, le peuple suisse peut, soit valider tacitement les lois en n’intervenant pas durant le délai référendaire, soit lancer un référendum et, in fine, voter pour savoir si oui ou non, l’ensemble des citoyens valident la loi en question.
Ce pouvoir suisse est unique au monde à ma connaissance. Il est un bien précieux, car il tempère le pouvoir des élus qui, malgré ce que croient certains, ne font pas ce qu’ils veulent. Le peuple a toujours le dernier mot, s’il veut bien utiliser ses pouvoirs, sa souveraineté est bien moins protocolaire que celle du gouverneur général, aussi acariâtre soit-il.