Valais Libre

27 août 2021

L’art de manipuler la démocratie

« Nous avons été là pour vous, et maintenant, c’est à vous de choisir ». Avec ces quelques mots prononcés le 15 août dernier, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, annonçait la dissolution du parlement et des élections législatives anticipées pour le 20 septembre prochain. Un beau « foutage de gueule » alors que la pandémie redémarre au Canada.

Vous le savez si vous me lisez régulièrement, je ne suis pas le plus grand fan du beau premier ministre canadien ! Alors que, mes valises bouclées, je me dirigeais vers l’aéroport de Québec, il est venu troubler mon voyage. En passant, je suis bien arrivé en Suisse et j’ai déjà croisé quelques lecteurs. Mais revenons à ma crise d’urticaire canadienne.

Le chef libéral Justin Trudeau a rencontré des partisans rassemblés à Ottawa après avoir déclenché des élections. Source : La Presse Canadienne / Sean Kilpatrick

Des élections à date fixe

La dernière fois que la Chambre des communes (c’est ainsi qu’on appelle l’équivalent du Conseil national au Canada, le Sénat, Conseil des États, est lui nommé par le premier ministre) a été renouvelée, c’était le même jour que les élections fédérales suisses de 2019. Deux ans, à peine, après cet exercice, le pauvre petit Justin qui doit régner avec un gouvernement minoritaire, nous fait un caprice.

Pourtant, en 2019, le Canada entrait dans l’ère des élections à date fixe. Finis les petits arrangements du parti au pouvoir qui avait le droit de déclencher les élections quand bon lui semblait, mais au maximum cinq ans après sa prise du pouvoir. Les partis s’étaient mis d’accord pour une réforme législative qui rendait les choses plus prévisibles, plus transparente.

Eh bien, deux ans plus tard, profitant du fait qu’il n’ait pas une majorité absolue, Justin Trudeau joue à nouveau avec les électeurs. Il sait bien que ceux-ci sont habitués à semblable manigance puisqu’ils n’ont vécu qu’une fois un scrutin dont la date était connue plus de 40 jours à l’avance.

Utilisation de la gouverneure générale

Bon, pour être honnête, je dois avouer que le premier ministre n’a pas le pouvoir de dissoudre le parlement tout seul. Pour le faire, il doit demander l’autorisation au gouverneur général, le représentant de la reine au Canada. En janvier dernier (voir la lettre québécoise du 29 janvier 2021), l’astronaute Lise Payette démissionnait de son poste de gouverneure générale.

Cet été pour la remplacer, Justin Trudeau a nommé Mary Simon pour la remplacer. Pour faire face au scandale des pensionnats autochtones (lettre du 11 juin 2021), il a mis en avant une femme autochtone pour la première fois. Il a toutefois oublié que son pays était bilingue et que madame Simon ne parlait pas français. Une gifle monumentale aux francophones canadiens.

Donc madame Simon n’a pas bronché et a entériné la dissolution du parlement et a plongé le Canada dans une nouvelle campagne électorale. Il faut reconnaître que c’est bien joué de la part des libéraux canadiens. Les sondages leur sont favorables et les autres partis ont tous de la difficulté à trouver leur voie.

Mary Simon est devenue gouverneure générale du Canada le 26 juillet dernier. Source : La Presse Canadienne / Sean Kilpatrick

Les forces en présence

Face au Parti libéral du Canada (PLC) de Justin Trudeau qui possède 155 sièges sur 338, on trouve le Parti conservateur (PC) avec 119 sièges, le Bloc québécois (BQ) avec 32, le Nouveau parti démocratique (NPD) avec 24, le Parti vert du Canada (PVC) avec 2 et 5 indépendants. Le dernier siège étant vacant au moment de la dissolution.

Les sondages au moment du déclenchement des élections donnent 35 % au PLQ, 30 % au PC, 19 % au NPD, 7 % au BQ (qui n’est actif qu’au Québec où il recueille 29 % des intentions de vote) et 5 % au vert. Ce qui signifie que les libéraux sont proches du seuil d’un gouvernement majoritaire. Leurs sondages internes par circonscription doivent leur donner cette majorité, sinon ils n’auraient pas pris la décision de dissoudre la Chambre.

Car, le vote uninominal à un tour signifie que chaque cercle électoral vaut pour lui-même. Celui qui a le plus de voix étant élu, les sondages nationaux peuvent être trompeurs. En 2019, les conservateurs avec 34 % avaient obtenu moins de sièges que les libéraux avec 33% et le Bloc québécois avec 7 % des voix, mais uniquement sur le Québec a obtenu 8 sièges de plus que le NPD avec 16 % des voix.

Une campagne dont personne ne veut

Plus de la moitié des Canadiens (51 %) disent ne pas avoir d’intérêt pour des élections actuellement contre seulement 26 % qui disent s’y intéresser. Devant de tels chiffres, le défi pour Justin Trudeau est peut-être plus difficile qu’il n’y parait. Si depuis le début de la pandémie, tous les scrutins provinciaux ont bénéficié aux partis au pouvoir, le résultat du 18 août en Nouvelle-Écosse ne rassure pas les libéraux.

Les progressistes-conservateurs ont battu nettement les libéraux qui détenaient un gouvernement minoritaire et qui tentaient le même pari que le parti fédéral. Je souhaite le même sort à Justin Trudeau. Si la pandémie continue, il risque de pâtir de sa témérité de faire déplacer les gens et si elle s’estompe, peut-être que les conservateurs arriveront à démontrer que l’argent distribué à tout vent risque de coûter cher à l’avenir.

La chance du premier ministre est que la question environnementale est le point faible des conservateurs et que les verts sont trop faibles pour influer vraiment sur le scrutin. Son image verte malgré qu’il ne fasse rien de peur de déranger les producteurs de pétrole (le Canada est le 4e producteur au monde) va peut-être lui permettre de réussir son pari.

20 août 2021

Un été olympique

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 5 h 12 min
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Tokyo 2020 a donc eu lieu en 2021 comme un signe de retour vers une certaine normalité. Pourtant nous n’en avons pas encore fini avec ce satané virus. Mais pour cette reprise, encore un peu en mode estival, j’ai envie de vous parler de ces deux belles semaines qui m’ont permis d’oublier un peu la lourdeur du temps. Plus particulièrement de deux athlètes qui ont une belle histoire bien dans l’esprit éternel des jeux.

Et, si tout se passe correctement, lorsque cette chronique paraîtra, je pourrais la lire pour la première fois sur papier en Valais. Car, après plus de deux ans, je peux enfin refaire un passage sur mes terres natales. Avant de vous narrer ce voyage, revenons un peu en arrière et profitons du soleil levant.

37 médailles… Presque tous les jours, j’ai pu fêter. C’est l’avantage de la double nationalité (24 Canada / 13 Suisse). Et par chance, il n’y a pas eu de confrontation directe Suisse – Canada. Le beach-volley aurait pu créer des chicanes de couple, mais il n’en fut rien, les Canadiennes ont été éliminées avant de se frotter aux Suissesses, pareil en tennis.

De belles histoires olympiques

Le décalage horaire n’étant pas si pire au Canada, j’ai pu vibrer soit le matin pour les soirées tokyoïtes, soit le soir pour les matinées. Je ne peux que commencer par les beaux moments que nous ont fait vivre les cyclistes helvétiques (l’avantage des mots non genrés qui permettent de ne pas écraser ces pauvres hommes). 

Magnifique ce podium avec cette… (si quelqu’un peut me définir la couleur des vêtements officiels de la délégation suisse, je suis preneur), unique les trois drapeaux qui flottent pendant que l’hymne national diffuse son tempo si entraînant. Tout aussi magnifique les autres moments où cet air a retenti pour notre meilleure tireuse et pour Belinda.

J’ai eu la chance de vibrer encore sept fois en écoutant mon hymne d’adoption. Et, comble de bonheur, j’habite maintenant le même village, Saint-Romuald (qui a été fusionné avec 13 autres bourgs pour former Lévis), qu’une toute nouvelle championne olympique, Gabrielle Carle, membre de l’équipe canadienne de football (soccer comme on dit ici) vainqueur du tournoi olympique. Et pour ne rien manquer, à Lévis, ma ville, réside aussi une toute nouvelle médaillée de bronze en cyclisme sur piste, Laurianne Genest.

Une médaille forgée dans son garage

Je vais arrêter là avec mes cocoricos domiciliaires et vous raconter une belle histoire olympique. Il était une fois, dans un garage de Rimouski (une charmante petite ville au bord du Saint-Laurent aux portes de la Gaspésie), une jeune femme qui avait rêvé d’olympisme avec la gymnastique, mais qui voyait son rêve s’éloigner, car elle n’était pas si bonne que ça dans cette discipline.

C’est dans le garage de son père que Maude Charron a développé sa passion pour l’haltérophilie. Source : Le Journal de Québec

Elle avait eu la chance de rencontrer, alors qu’elle s’était mise au Crossfit, un ancien champion régional d’haltérophilie, Serge Chrétien qui lui aussi rêvait encore de Jeux olympiques même s’il n’y était pas parvenu comme compétiteur. Il réussit à la décider de tenter sa chance en haltérophilie, car elle était faite pour ça, même si elle devait s’entraîner dans le garage de son père, elle pouvait y arriver.

« En 2016, à quatre ans de Tokyo, le timing était idéal pour changer, et ce fut une bonne décision d’opter pour l’haltérophilie, mais je n’y croyais pas trop, aux Olympiques, au départ. Serge m’a vendu les compétitions internationales et les destinations vendeuses. La transition n’a pas été difficile », raconte l’athlète.

Le lundi 26 juillet dernier, elle a levé un total de 236 kg au cumul des deux mouvements pour battre de 4kg l’Italienne qui la suivait et de 6, la Chinoise qui a gagné le bronze. Le Bas-Saint-Laurent (la région d’où vient Maude) pouvait célébrer la première médaille canadienne en haltérophilie, une médaille en or et Maude pouvait retrouver son garage pour préparer Paris.

L’athlète le plus complet du monde

Ma deuxième histoire olympique se passe en Ontario, plus précisément dans la ville de London située à mi-chemin entre Toronto et Détroit au cœur des Grands Lacs. C’est là que Damian Warner a construit sa légende olympique. Après le report des Jeux en 2020 et la fermeture de la frontière américaine, le décathlonien canadien était près d’abandonner son rêve.

Il ne voulait pas abandonner sa femme enceinte pour aller s’entraîner aux États-Unis sans savoir s’il pourrait revenir au Canada. C’est alors que son entraîneur de l’école secondaire lui a proposé de transformer un vieil aréna (un aréna au Québec est une enceinte sportive couverte) voué à la démolition en local d’entraînement.

Le photographe du London Free Press a même aidé à déplacer certaines installations alors qu’il immortalisait l’entraînement de Damian Warner pour un article de son journal. Source : London Free Press

En quelques jours, avec l’appui d’une centaine de supporters et amis, Damian a équipé l’endroit pour pratiquer les dix épreuves du décathlon. Des brouettes de sable pour le saut en longueur, un bac de mousse pour l’atterrissage du saut à la perche, des filets pour retenir le disque, tout fut mis en place. Seul problème, l’aréna n’était pas chauffé et l’hiver dans la région est plutôt rude. 

Une tente et un radiateur pour l’échauffement et l’aventure a pu continuer jusqu’au mois de mars où ça devenait vraiment trop dur. Mais la naissance du petit Theo le 11 mars est arrivée au bon moment pour redonner du courage à notre héros. Et comme dans tous les bons contes de fées, après deux jours de compétition à Tokyo, Damian Warner est devenu champion olympique de décathlon avec 9018 points (les connaisseurs apprécieront).

Voilà deux belles histoires qui peuvent nous réconcilier avec l’esprit olympique. Même si ces Jeux ont finalement eu lieu essentiellement pour des raisons financières, ils nous ont quand même permis de nous divertir un peu, mais surtout, ils ont permis à de jeunes femmes et à de jeunes hommes de vivre leur rêve.

Comme quoi, même derrière des projets qui peuvent nous paraître vils et futiles, il y a souvent de belles aventures humaines qui nous permettent de toujours croire dans les capacités humaines.

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