Valais Libre

18 décembre 2023

Quand la langue française grandit le personnage

Filed under: 1. Lettre québécoise — vslibre @ 8 h 43 min
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Durant mes vacances automnales, j’ai, comme beaucoup, enfin trouvé du temps pour lire. Dans la diversité de ces lectures vivifiantes, j’ai avalé avec délectation « Une vie sans peur et sans regret », les mémoires de Denise Bombardier. Cette autobiographie me titillait depuis quelque temps. Depuis sa mort, le 4 juillet dernier. Bizarre de penser que cette défenderesse du Québec et de la langue française aient disparu le jour de l’indépendance américaine. Au moins son nom restera à jamais lié à une indépendance…

« Moi, monsieur Matzneff me semble pitoyable. La littérature dans ce pays (la France) sert d’alibi à ce genre de confidence. (…)  Monsieur Matzneff nous raconte qu’il sodomise des petites filles de 14 ans, 15 ans, que ces petites filles sont folles de lui. On sait bien que les vieux messieurs attirent les petites filles avec des bonbons, monsieur Matzneff, lui, les attire avec sa réputation. Mais ce qu’on ne sait pas c’est comment ces petites filles qui ont subi des abus de pouvoir, comment s’en sortent-elles ? Je crois que ces petites filles sont flétries et certaines pour le restant de leur jour. La littérature ne peut pas servir d’alibi. »

En mars 1990 Denise Bombardier surgit à la face de la France avec cette intervention lors de la célèbre émission « Apostrophe de Bernard Pivot ». Elle fut la seule sur le plateau à dénoncer le pédophile qui sous prétexte de littérature racontait ses abominables exactions sur des mineures. L’heure n’était pas encore à la condamnation absolue de la pédophilie. Elle était acceptée, en tout cas dans les cercles parisiens bien pensants.

Le français pour s’élever

Née le 18 janvier 1941 dans une modeste famille du Plateau-Mont-Royal à Montréal, la petite Denise va vite assimiler l’idée de sa mère que l’instruction va lui permettre de s’élever dans la société. Sa mère, va d’ailleurs très vite inscrire sa petite fille à des cours d’éloquence qui lui permettront très vite de parler « à la française ». Dès lors, son destin de femme un peu à part était scellé.

L’évasion dans les livres des grands auteurs va lui permettre de passer à travers une éducation à « l’eau bénite »qui était la norme des années Duplessis au Québec. Elle ne gardera pas de rancœur de cette époque qui passera dans l’histoire de la province comme celle de la « Grande noirceur ». Tout au contraire, elle sera reconnaissante envers certaines sœurs enseignantes qui lui ont ouvert le monde. Sa vie durant, une certaine pudeur issue de cette époque la suivra.

Baccalauréat en art en 1964, maîtrise en sciences politiques en 1971 obtenues à l’Université de Montréal l’amèneront en France pour préparer son doctorat en sociologie. Ce qui sera fait en 1974. C’est donc bien par l’éducation que cette femme issue d’une famille canadienne-française, donc « née pour un petit pain », des « Culbéquois » comme le disait son père, s’élèvera dans la société québécoise et francophone.

Tout naturellement le journalisme

Le simple énoncé de ses diplômes illustre combien sa voie n’était pas tracée d’avance. Mais ces années d’études correspondent à la « Révolution tranquille » qui a transformé le Québec à partir de 1960. C’est tout naturellement qu’elle partagera ses espoirs, ses illusions, ses rêves dans le Quartier latin, le journal des étudiants de l’Université de Montréal. Ses textes souvent engagés, sa vision du monde la fera vite remarquer.

Après avoir joué quelques rôles secondaires au théâtre ou à la télévision, le journalisme lui ouvrira un chemin que la comédie peinait à lui offrir. Elle travaillera près de 40 ans comme pigiste pour Radio-Canada. Trop amoureuse de son indépendance pour se laisser enfermer dans la sécurité d’un train-train quotidien. Durant ce parcours, elle sera la première femme à animer une émission d’affaires publiques au Québec. Elle sera surtout reconnue pour ses qualités d’intervieweuse.

Amoureuse des hommes

Traitée de « mal-baisée » par l’intelligentsia parisienne après son altercation avec Gabriel Matzneff, elle rira de ce machisme. Car si Denise Bombardier fut une féministe de son temps, elle fut aussi une séductrice. Elle rend hommage aux hommes de sa vie dans ses mémoires. Ils ont toujours été des piliers pour elle. Mais, il en a fallu plusieurs pour la suivre tout au long des 82 ans de son parcours.

Je vous fais grâce de toutes les péripéties de sa vie amoureuse. Les plus curieux la liront avec délectation. Deux ont tout particulièrement marqué sa vie. Tout d’abord, le père de son fils Guillaume, le journaliste et animateur québécois Claude Villeneuve avec qui elle se maria deux fois, en 1964, puis en 1976 et divorça définitivement en 1980. Elle se remaria en 1998 avec un Irlandais amoureux de la langue française James Jackson qui fut son pilier des dernières années.

Denise Bombardier était une amoureuse de son Québec. Membre durant quelques années de jeunesse du Rassemblement pour l’indépendance du Québec (RIN), elle s’abstiendra par la suite de militer par rigueur journalistique. Elle dénonça de toutes ses forces le manque d’ambition de ses concitoyens, mais salua les réussites. Ainsi  elle a écrit la chanson « La diva » en 2007 pour la plus célèbre des Québécoises : Céline Dion.

Pour conclure, je reprends les mots du journal montréalais Le Devoir avec qui elle a beaucoup polémiqué. « Une « diva », c’est un peu aussi ce que Denise Bombardier était. Une personnalité hors normes dont le caractère force l’admiration, en dépit des excès. »

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